Satisfaits mais (toujours) pas remboursés !
   
  En cette fin d’entre-deux tours, période de réflexion avant de procéder au 
choix décisif, nous re-soumettons aux lecteurs le texte d’une tribune que nous 
avions co-signée quelques jours après le coup d’Etat du 5 août 2005. Dix-neuf 
mois de transitions n’ont fait prendre aucune ride aux thèmes qui y sont 
abordés, à savoir : le retour de réfugiés et déportés, l’invention de 
l’individu mauritanien et l’éradication de l’esclavage…   
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  Satisfaits mais pas remboursés !
   
  Nous sommes, comme beaucoup de Mauritaniens, satisfaits du départ de Ould 
Taya et satisfaits que cela se soit passé sans effusion de sang évitant à nos 
compatriotes les affres de la guerre civile. Comme beaucoup, nous nous 
réjouissons de la libération des prisonniers d’opinions, islamistes, anciens 
putschistes ou les deux à la fois.
   
  Nous sommes satisfaits que des perspectives soient ouvertes devant le peuple 
mauritanien, que ces perspectives ne soient pas seulement pétrolières et 
qu’avec cette promesse d’embellie économique se dessinent l’ouverture 
d’horizons nouveaux, un référendum, une Commission Nationale Electorale, des 
élections qu’on nous promet libres et transparentes, le retour des civils et la 
remise au second plan des treillis militaires… On croirait rêver ! On peut même 
espérer que les mauritaniens de l’Etranger pourraient, eux aussi, mettre leur 
bulletin dans une urne…
   
  Nous sommes satisfaits mais, disons le tout de suite, pas remboursés ! Ce 
slogan à l’emporte- pièce résume assez bien le sentiment de nombre de 
Mauritaniens.
   
  Comment pourrions-nous savourer notre joie en sachant une partie de notre 
population toujours dans des camps de réfugiés, au Sénégal et au Mali ? Comment 
pourrions-nous nous réjouir complètement quand une partie des fonctionnaires de 
notre Etat est toujours radiée, déchue de son existence administrative pour 
raisons d’appartenance raciale ou régionale ? Quand on refuse de reconnaître à 
des veuves et des orphelins qu’elles sont des veuves et qu’ils sont des 
orphelins ? 
   
  Comme beaucoup de Mauritaniens, nous avons du mal à nous associer aux 
célébrations des retrouvailles qui nous paraissent encore amputées. Nous 
aurions aimé les célébrer à la fois devant le portail de la prison avec les 
prisonniers rendus à leur liberté, dans les halls des aéroports avec les bannis 
de retour de leur exil mais aussi dans les villages avec les déportés reprenant 
possession de leur foyer, dans les administrations avec les radiés retrouvant 
leur position et avec les veuves et les orphelins pouvant, enfin, entamer le 
deuil de leur disparu. Nous osons former l’espoir que cela n’est que question 
de programmation et de temps, très peu de temps.
   
  En attendant l’achèvement de ces mesures symboliques et d’urgence, seules à 
même d’amorcer le cercle vertueux de la confiance retrouvée, nous soumettons à 
la  réflexion de vos lecteurs cette contribution aux  débats, futurs, que les 
échéances annoncées par les autorités provisoires semblent nous promettre. Nous 
nous y limiterons à deux domaines à savoir la nécessité de l’émergence de 
l’individu citoyen mauritanien et l’éradication de l’esclavage. 
   
  En effet, dans quelques mois, à en croire le Conseil Militaire pour la 
Justice et la Démocratie, CMJD, les Mauritaniens seront appelés aux urnes ; une 
première fois pour modifier la Constitution dans le sens d’un meilleur 
fonctionnement de la démocratie et deux autres fois pour élire le Président de 
la République puis les députés et sénateurs. Serait-il trop en demander que 
d’espérer qu’un véritable débat d’idées, articulé autour des projets de 
société, des options philosophiques et idéologiques  s’organise en ces 
occasions ?  Pour ce qui nous concerne, nous en faisons le pari et lançons, dès 
à présents, les quelques idées qui suivent.
   
  1-      De la nécessité de l’émergence de l’individu mauritanien
   
  L’individu mauritanien est à inventer. On est, en Mauritanie, membre d’un 
groupe (ethnie, tribu, réseau de familles…etc.) avant d’être un individu doué 
d’un intérêt propre, pensant par soi, à soi et à sa petite famille et 
indépendant des contraintes lignagères. Ce défaut d’individualisation à pour 
conséquence première une délégation de fait des prérogatives de chacun d’entre 
nous au  profit du représentant désigné de la tribu ou du clan. Par le jeu 
d’alliances, parfois fort éloignées dans le temps, les clans et les tribus se 
mettent en réseau, délimitent le contour de leurs intérêts et confisquent, par 
la même occasion, la volonté de l’ensemble des membres de la communauté. En 
dehors de cette géographie plus de salut. 
   
  Ce système, fondement de la société traditionnelle de type féodal, a connu un 
regain considérable au cours  des deux  décennies que nous venons de vivre. 
Quand l’exercice de la démocratie se réduit à l’organisation de scrutins, à 
grands frais, dont le but se limite à la vérification périodique de 
l’importance relative des poids de telles ou telles alliances tribales ou 
régionales, c’est le clientélisme qui triomphe. Le vote n’exprime plus une 
opinion, une option consciente et réfléchie mais devient la manifestation d’une 
allégeance et l’adhésion à un clan ou à une tribu. 
   
  Pour inverser le système et rendre au vote sa vocation première de pouvoir 
individuel entre les mains d’un citoyen responsable personnellement de ses 
choix et exerçant  son libre arbitre, il faudra s’attaquer au clan, à la tribu 
et fondements des structures paralysantes de la Assabya(*).
   
  Comment pourrait-on s’y prendre ?  Comment s’attaquer à ce qui passe pour 
être le référentiel naturel de nombre de Mauritaniens et un élément prédominant 
de leur identité ? Comment rendre caduc l’inévitable « Houwa min min ? »(**)  
qui prélude à toute recherche d’identification ?  
   
  Quelques mesures symboliques telles le refus catégorique, de la part de 
l’Etat, de toute reconnaissance des chefferies tribales ainsi que la 
dissolution de la césure collective des terres agricoles, par exemple, 
pourraient avoir leurs effets mais demeurent  insuffisantes.
   
  I’individu mauritanien ne pourra voir le jour qu’à l’occasion de 
l’instauration d’un système de solidarité nationale organisé par l’Etat et 
fonction des seuls critères d’appartenance socio-économique. Un système de 
sécurité sociale, d’assurance maladie et de couverture des risques de la vie se 
substituant à la solidarité clanique et à la tribu, actuellement appelée à la 
rescousse quand l’un de ses membres est impliqué, par exemple, dans des 
affaires de détournement, de meurtre ou autres passes difficiles.
   
  L’Etat est neutre, anonyme et n’exige pas de reconnaissance en retour, 
surtout que la solidarité ainsi mise en jeu est le fruit des efforts de tous. 
Ce qu’il faudrait donc c’est rendre l’individu économiquement indépendant pour 
le rendre responsable et le soustraire à l’emprise de la tribu. 
   
  Cette indépendance économique et donc cette responsabilité individuelle ne 
pourraient, évidemment, se concevoir ni être défendues en dehors d’un système 
de règlement de conflits et de recours,  indépendant lui aussi de l’emprise 
tribalo-clanique, c’est ce que devrait être un Etat de droit. Dans l’Etat de 
droit la citoyenneté est seule source de droits et de devoirs.
   
  Dans le système actuel, le droit de chaque mauritanien est déterminé par 
l’importance des protections tribales dont il jouit. La filiation à une  « 
grande tente », une « grande familles » ou une tribu prolifique et donc de 
poids électorale important donne une longueur d’avance dans la vie et surtout 
face à l’Administration.
   
  Dans un Etat de droit, les citoyens peuvent s’organiser librement. On 
pourrait se payer le luxe d’appartenir à un parti autre celui du puissant 
cousin sans pour autant renoncer à toute espoir de promotion ni s’attirer les 
courroux des sages de la tribu. 
   
  L’Etat de droit se décrète. Il n’est pas naturel et nécessite une volonté 
politique, des instruments de régulation et des moyens de fonctionnement. Dans 
le cas de la Mauritanie, la survie de l’Etat de droit passe aussi par 
l’émergence et le développement d’une classe moyenne inventive, d’un petit 
entreprenariat et d’aménagement juridiques et fiscaux favorisant la création de 
richesse. 
   
  A l’occasion du tournant qui s’annonce dans leur vie politique, les  
Mauritaniens pourraient en faire l’option et exiger des autorités qu’ils 
éliront lors des prochaines consultations  d’en créer les conditions.
   
   
  2-      De l’éradication de l’esclavage
   
  Les mauritaniens ont honte d’être traités d’esclavagistes du XXI-ème  siècle. 
Ils préfèrent parler de pauvreté et parfois, plus pudiquement, de séquelles de 
l’esclavage. Sans parler de l’esclavage en tant que mode de production, qui n’a 
probablement jamais existé en Mauritanie, il serait difficile de nier les 
pratiques esclavagistes existantes et surtout l’idéologie et les mentalités qui 
vont avec.
   
  Dans ce domaine aussi, les deux décennies que nous venons de vivre ne sont 
pas étrangères à la persistance sinon l’aggravation de cette honte.
   
  Les sécheresses, l’exode rural et la sédentarisation massive des populations 
mauritaniennes auraient dû venir à bout des rapports de type esclavagiste par 
la destruction, qu’ils avaient entraînée, de l’économie pastorale 
traditionnelle. Ce aurait pu être le cas s’il n’y avait eu la « démocratisation 
» ! Là aussi, la résurrection de la tribu et de l’Assabya, comme mode de 
découpage électorale, a eu pour effet la réactivation des rapports de type 
esclavagiste. Chaque tribu, dans la quête d’afficher le plus grand poids 
électoral, aligne les bataillons de haratine qu’elle « possède » et  qui se 
retrouvent ainsi instrumentalisés le temps d’un scrutin pour faire élire telle 
ou telle notabilité du coin. 
   
  Le démantèlement de l’Assabya, en plus de l’émergence de l’individu 
mauritanien, aiderait donc  à l’éradication de l’esclavage. Mais les effets 
escomptés seront trop longs à se manifester à l’échelle de l’urgence dans ce 
domaine.
   
  Nous en venons à notre proposition. Nous suggérons que l’Etat alloue des 
moyens importants et spécifiques en vue d’éradiquer l’esclavage en Mauritanie. 
Nous suggérons la création d’une Agence Nationale pour l’Eradication de 
l’Esclavage  (AN2E), dotée de moyens propres. Cette agence aurait pour mission 
la mise à niveau économique, culturelle et sociale des populations haratine.  
Elle sera financée sur le budget de l’Etat mais drainera aussi toutes les aides 
internationales disponibles et affectées à la lutte contre l’esclavage.
   
  Parallèlement au système éducatif national, qu’il faudra évidemment 
améliorer, l’AN2E financera la construction d’écoles supplémentaires et 
supérieurement dotées dans les zones de peuplement haratine. Ces écoles seront 
ouvertes aux élèves de l’ensemble du bassin géographique où elles seront 
implantées. Des systèmes de cantines et de bourses seront instaurés et financés 
par l’Agence, qui suivra les élèves issus de ses écoles jusqu’à l’Université.
   
  L’AN2E développera des activités économiques spécifiques dans les zones de 
peuplement haratine, visant à fixer ces derniers sur des terres qui finiront 
par être leur propriété. L’Agence sera aussi chargée d’une mission d’audit 
social périodique visant à évaluer le niveau social, culturel et économique des 
haratine. Elle s’érigera aussi en Observatoire Permanent des Pratiques 
Esclavagistes.
   
  L’action de cette agence sera, évidemment, encadrée par un arsenal juridique 
que le futur parlement devra mettre en place le plus vite possible et dont le 
but sera la criminalisation des pratiques esclavagistes sous toutes leurs 
formes.
   
   
  Il est vrai qu’aucune campagne n’est encore ouverte, mais nous avons, quand 
même, tenu à lancer ces idées espérant que les futurs débats se feront autour 
de projets de société et pas seulement de personnes, de clans ou de tribus…
   
  Dans une prochaine tribune, nous soumettrons d’autres propositions traitant 
d’autres sujets tels que la réorganisation de l’Etat, la décentralisation et 
l’aménagement du territoire.
   
   
                                                                                
                         
                 
  Mohamed BABA
  Med Mahmoud OULD MAALOUM
  Jemal OULD MOHAMED
                                                                                
                                                     
  11-Août-2005
   
     
   
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  (*)  « Assabya » : solidarité basée sur le lignage
  (**)  « Houwa min min ? » :  à quelle tribu appartient-il ?   
   
   

                
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