Title: Message

Le Figaro Magazine
 
Serbs of Kosovo: the suitcase or the coffin *
28 dead, 600 wounded persons, 3 200 refugees, 30 churches or convents burned-out: in Kosovo, the anti-Serbian pogroms resumed with a greater violence. For the first time since 1999, international civil servants evoke publicly an "ethnic cleansing". Objective of the Albanian extremists: get rid of the last 100 000 Serbs of the province. Report on the damned of the war.

* Allusion to the motto "la valise ou le cercueil" that the Algerian Muslims were writing on the walls of Algiers in 1960-61 when they understood that they would be granted independence but did not want their Christian neighbors to stay.

From our special correspondent Jean-Louis Tremblais
[April 09th, 2004]
http://www.lefigaro.fr/magazine/20040408.MAG0020.html

 
Serbes du Kosovo : La valise ou le cercueil

28 morts, 600 blessés, 3 200 réfugiés, 30 églises ou monastères incendiés : au Kosovo, les pogroms anti-Serbes ont repris avec une violence accrue. Pour la première fois depuis 1999, des fonctionnaires internationaux évoquent publiquement un "nettoyage ethnique". Objectif des extrémistes albanais : se débarrasser des 100 000 derniers Serbes de la province. Reportage chez les damnés de la guerre.

De notre envoyé spéciaul Jean-Louis Tremblais
[09 avril 2004]

A notre dernière rencontre, Borislav Kevkic était en sursis. Ce prêtre orthodoxe veillait sur Saint-Sava, la dernière église de Mitrovica-Sud (NDLR : secteur albanais de cette ville divisée par la rivière Ibar ; le nord étant serbe). A ses côtés, répartis dans trois bicoques, on comptait six Serbes : sa femme, deux autres popes téméraires, une vieille paralytique et paranoïaque, les petits-enfants de cette malheureuse partant tous les matins à l'école sous escorte militaire. Et puis des chats. Plein de chats, ni serbes ni albanais, félins apatrides se jouant des check-points et autres barbelés.

Dans cette ultime enclave, protégée vingt-quatre heures sur vingt-quatre par les soldats de la Kfor (la force multinationale de l'Otan), interdite de sortie sous peine de lynchage, cette communauté irréductible et anachronique (sur)vivait tant bien que mal. Six Serbes au milieu de 80 000 Albanais. Les derniers des Mohicans. Chaque dimanche, le père Borislav sonnait les cloches à toute volée. Pour la forme, car Saint-Sava restait vide, les Serbes de Mitrovica-Nord refusant de s'aventurer de l'autre côté du pont, chez les Shiptars (nom que se donnent eux-mêmes les Albanais et que les Serbes emploient avec mépris). Malgré tout, le prêtre disait la messe. Pour lui et les siens. Pour Dieu et la Serbie. «Si je m'en vais, me disait-il, ils construiront une mosquée.»


Huit mois plus tard, si la mosquée n'est pas encore construite, l'église est déjà détruite... Incendiée le 18 mars lors du pogrom qui a fait 28 morts et 600 blessés dans tout le Kosovo. De Saint-Sava il ne reste qu'un bâtiment calciné et la croix du toit (trop haut pour les vandales). A l'intérieur, ce n'est plus qu'un tas de cendres : icônes, statues, chaire, autel, etc. Idem pour les habitations, pillées avant d'être brûlées. Le cimetière du jardin, où reposent des ecclésiastiques, a été profané. Stèles renversées et fracassées. Des parachutistes français (la brigade multinationale nord-est de la Kfor, qui contrôle la région de Mitrovica, est placée sous commandement français) gardent désormais cet amas de ruines que même les chats ont déserté, griffons écoeurés par le spectacle de la folie humaine.

- Il faisait nuit, se souvient le père Borislav, aujourd'hui réfugié à Mitrovica-Nord, en zone serbe et donc sûre. Les Albanais ont défoncé les grilles. Ils réclamaient ma tête. Je les entendais vociférer. Heureusement, les soldats marocains de la Kfor sont venus nous chercher et nous ont sortis de l'enfer. Nous n'avons pas eu le temps de faire nos valises. On a ramassé ce que l'on pouvait dans un sac en plastique, et puis adieu. Les Albanais ont commencé par casser, par voler. Le lendemain, ils ont tout fait flamber. Quarante années de ma vie sont parties en fumée !

Maisons incendiées et scènes de pogrom


Pour échapper à ses tourmenteurs, le religieux a été exfiltré grâve à un hélicoptère français. Il squatte maintenant la maison d'un pope, avec une couverture et quelques hardes dans son balluchon. Ils sont 3 200 Serbes (et quelques Ashkalis, des Tziganes musulmans persécutés également par les Albanais en tant qu'ex-collaborateurs du régime Milosevic) dans le même cas. Dans la novlangue onusienne, on les appelle les IDP (Internal Displaced Persons), littéralement des «personnes internes déplacées». Subtilité juridique qui évite de les comptabiliser comme réfugiés et permet de sauver la face. «Vous avez droit au retour», leur a promis Harri Holkeri, administrateur finlandais de l'ONU au Kosovo. Mais revenir où ? Sept villages serbes ont été rayés de la carte. Svinjare, Obilic, Kosovo Polje, Gnjilane, Caglavica, Lipljan, Urosevac. A Pristina, capitale de la province, il n'y a plus un Serbe. Les 200 qui vivotaient encore dans les barres HLM du YU Program ont fui leurs appartements livrés à la rapine et au pillage.


Pour l'instant, ils sont accueillis soit dans les camps de la Kfor, soit dans les enclaves rescapées comme Mitrovica-Nord ou Gracanica. C'est toujours la même histoire, avec des variantes plus ou moins sordides. Un air de déjà vu dans ces maudits Balkans. Toujours au printemps, poussée de sève et de sang, comme au Moyen Age, après la trêve hivernale. Toujours et encore les mêmes masques, tragiques et fatigués, marqués par le fatum. Au pied du monastère de Gracanica, Ljubica Milkovic, 73 ans, poignet dans le plâtre suite à un tabassage, raconte comment elle a vu débarquer des centaines d'Albanais dans son village et comment les soldats de la Kfor l'ont sauvée des flammes. A l'hôpital de Mitrovica, Goroljub Janackovic, 64 ans, mâchoire édentée et crâne bandé, relate comment il s'est barricadé dans les toilettes quand les Albanais ont envahi sa maison. Il a réussi à se dégager et à s'enfuir dans les champs, non sans écoper d'un coup de hache sur la tête au passage.


Personne ne croit plus à des représailles spontanées qui au-raient éclaté suite à la noyade de trois enfants albanais dans la rivière Ibar, le 16 mars. Selon cette thèse développée par les médias et les leaders albanais, les trois gosses, coursés par des Serbes, se seraient jetés dans l'eau pour échapper à leurs poursuivants. Telle est la version rapportée par un quatrième adolescent, prétendu survivant de cette sinistre affaire. Diffusé le jour-même sur une télé locale, son témoignage aurait provoqué la colère des Albanais du Kosovo et déclenché les violences des 17 et 18 mars.

- La réalité est bien différente, confie sous couvert d'anonymat un fonctionnaire de l'ONU. D'abord, la chronologie des faits : entre le 12 et le 16 mars, trois Serbes ont été tués par balle et un quatrième blessé. Le signal de l'hallali avait donc été donné avant la noyade. Ensuite, il y a effectivement un survivant à cette noyade, mais c'est une survivante, une fille ! On se demande alors qui est le gamin qui a témoigné devant les caméras. Qui l'a instrumentalisé ? Enfin, on est frappé par la simultanéité des attaques, lesquelles sont intervenues dans tout le Kosovo presque en même temps. Et avec des moyens lourds : armes automatiques, grenades défensives, cocktails Molotov. Comme si tout avait été planifié et concerté depuis un moment.


Impossible de vérifier les assertions sur la noyade : invoquant le secret de l'instruction, la police de la Minuk (Mission des Nations unies au Kosovo, 4 000 hommes de toutes les nationalités) refuse de communiquer sur ce dossier.

Eglises orthodoxes saccagées

Une chose est sûre : les auteurs des exactions n'ont pas agi au hasard, sous le coup de l'émotion. Il suffit de voir leurs cibles. Outre les particuliers, les activistes albanais (les vétérans de l'UCK, l'ex-armée de libération du Kosovo, sont fortement soupçonnés d'avoir téléguidé les opérations) ont visé des monuments emblématiques, symboles de la «Jérusalem serbe», ainsi que l'Eglise orthodoxe désigne le Kosovo. Trente églises ou monastères orthodoxes, dont plusieurs joyaux de l'architecture médiévale, ont été incendiés en moins de vingt-quatre heures.

A Prizren, pour ne citer que cette ville : les églises du Christ-Sauveur, Saint-Nicolas, Saint-Cosmas et Damian, le monastère des saints Archanges, tous monuments du XIVe siècle. Depuis 1999, 145 lieux de culte ont ainsi été détruits. La plupart avaient résisté à cinq siècles d'occupation ottomane ; ils n'ont pas supporté cinq ans d'administration onusienne...


Fait nouveau : c'est la première fois depuis 1999 que de hauts responsables du Léviathan multinational qui préside aux destinées du Kosovo parlent de «nettoyage ethnique». C'est l'_expression_ utilisée par l'amiral Gregory Johnson, commandant de l'Otan pour le sud-est de l'Europe. Pour le général italien Alberto Primicerj, qui commande l'une des cinq brigades de la Kfor, «ce plan pour mettre le Kosovo à feu et à sang était prêt de longue date». Il faut dire que ce printemps tragique illustre une escalade dans la violence. Nous avons pu nous procurer un «document à diffusion interne» de l'ONU qui insiste sur deux éléments inédits.


Primo, indique la note, «le changement le plus significatif est l'apparition de snipers». Genre Sarajevo, ce qui est de mauvais augure. Ce fut le cas à Mitrovica (où un sniper albanais, qui tirait sur des soldats danois de la Kfor, a été abattu), à Pristina et à Lepo Selo, sur la route de Skopje. Secundo, poursuit le rapport, «il y a une tendance délibérée à attaquer la Kfor et la police de la Minuk». Autrement dit, à s'en prendre à la communauté internationale. C'est ainsi que l'ONU a perdu une centaine de véhicules, laminés ou carbonisés, que plusieurs de ses bureaux (comme celui du House and Property Directorate à Mitrovica-Sud) ont été anéantis, que nombre de ses employés ont dû être transférés en lieu sûr, avec interdiction de se déplacer sur les routes. Sans oublier le tribut versé par les soldats de la Kfor : 61 blessés, dont trois graves.

Pour les Serbes, la prise de conscience des «internationaux» est aussi timide que tardive. 250 000 d'entre eux ont quitté la province depuis l'intervention de l'Otan. Sur deux millions de Kosovars, ils ne sont plus que 100 000. Doublement punis : par l'épuration ethnique qu'ils endurent au quotidien et par la ségrégation sociale (ne restent au Kosovo que les Serbes les plus pauvres, ceux qui n'ont ni les moyens ni les contacts pour s'établir ailleurs). Le problème, c'est que si des personnalités isolées commencent à ouvrir les yeux, ce ne semble pas être le cas au sommet des organismes internationaux qui régissent le monde. En témoigne ce communiqué surréaliste du Conseil de sécurité de l'ONU, en date du 18 mars (soit après les événements) : «La création d'une société multiethnique, tolérante et démocratique dans un Kosovo stable demeure l'objectif prioritaire de la communauté internationale.» A mourir de rire ? «Non, à mourir tout court», répondent les Serbes.

http://www.lefigaro.fr/magazine/20040408.MAG0020.html



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