Les lecteurs de cette liste n'apprendront rien dans ce livre, je pense
mais, si lors du réveillon de Noël, la mamie du Cantal ou le papy du
Périgord demandent à vos grand-parents « et votre petit-fils, là, il
fait quoi dans la vie au juste ? », ce livre peut être un début de
réponse.

Tubes par Andrew Blum chez Harper Collins

978-0-06-199493-7

http://www.bortzmeyer.org/tubes.html

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Contrairement à ce qu'on pourrait croire en prêtant attention aux 
niaiseries comme le discours sur le « virtuel » ou sur le « "cloud"  », 
l'Internet n'est pas un concept évaporé. Il s'appuie sur de grosses et 
lourdes machines, qui sucent beaucoup d'électricité, et qui sont 
hébergées dans de grands bâtiments industriels. Ceux-ci sont connectés 
par des liens bien physiques, les ondes radio étant marginales. C'est 
cet enracinement physique de l'Internet que décrit Andrew Blum. 
L'auteur vivait autrefois dans l'ignorance de l'endroit où passait son 
trafic Internet. Il a eu son chemin de Damas lorsqu'un écureuil 
insolent a eu l'audace de ronger son accès Internet. Blum a alors 
compris la physicalité du réseau et est parti visiter la planète pour 
trouver les *lieux physiques d'Internet*.

(Au passage, ceux qui aiment les écureuils et se demandent pourquoi une 
si charmante bête est peu aimée des professionnels du réseau doivent 
lire l'excellent article de Pierre Col 
<http://www.zdnet.fr/actualites/la-faune-americaine-ennemie-d-internet-3
9764091.htm>.)

Car Blum regrette qu'on ne prête plus attention à cette physicalité : 
comme le dit Leonard Kleinrock, interrogé par l'auteur sur les lieux 
des débuts d'Arpanet, « "Students no longer take things apart" », on ne 
démonte plus les choses. À défaut de les démonter, Blum les visite. Il 
se rend dans plusieurs points d'échange et décrit de manière très 
vivante ces points d'interconnexion où bat le cœur du réseau. Il ne 
peint pas que l'état physique actuel mais aussi son histoire compliquée 
et conflictuelle. Le livre contient une passionnante histoire du 
célèbre MAE-East. Lorsque je travaillais au CNAM, c'était un endroit 
mythique et lointain où l'Internet, l'interconnexion des réseaux, même 
entre opérateurs français, se faisait. Dans le livre de Blum, on suit 
sa difficile naissance, mais aussi celle de son opposé Equinix. 
(Pendant que je lisais ce chapitre, j'ai appris la naissance d'un des 
tous derniers points d'échange créés, à Kinshasa, le Kinix 
<http://www.ispa-drc.cd/kinix.ht>.)

Blum visite aussi DE-CIX, AMS-IX, le LINX (contrairement à ce qu'on lit 
parfois chez des amateurs de sensationnalisme, ces lieux n'ont rien de 
secret, puisque tout le monde s'y connecte) et suit les réunions de 
NANOG pour y entendre les mystérieures négociations sur le "peering", 
les exposés des acteurs essayant d'encourager les autres à "peerer" 
avec eux, en se vendant et en vendant leurs abonnés comme s'ils étaient 
une marchandise (« "I have eyeballs. If you have content, peer with 
me." », en utilisant le terme péjoratif de « globes oculaires » pour 
parler des abonnés, supposés être des consommateurs passifs et bêtes). 
On croise dans le livre des figures familières de ce genre de réunions 
comme Sylvie LaPerrière, qui vient de rentrer au Conseil 
d'Administration d'AMS-IX <https://www.ams-ix.net/newsitems/69>.

Après les points d'échange, l'auteur se tourne vers les câbles 
sous-marins, par lesquels passent l'essentiel du trafic international. 
Ces câbles ne relient pas n'importe quels points. Comme « "People go 
where things are" », on s'installe là où il y a déjà quelque chose), la 
plupart de ces câbles atterrissent aux mêmes endroits où atterrissaient 
les fils du télégraphe, des lieux comme Porthcurno (un des meilleurs 
reportages du livre) ou 60 Hudson.

Andrew Blum a même suivi l'atterrissage d'un nouveau câble de Tata, le 
WACS, au Portugal, encore un passionnant récit.

Ces câbles ne sont pas posés n'importe où : la résilience de l'Internet 
dépend d'une répartition de ces liens à différents endroits, pour ne 
pas risquer qu'ils soient victimes du même problème, comme la fameuse 
panne de Luçon en 2006 où un tremblement de terre avait coupé plusieurs 
câbles d'un coup.

(Au passage, si vous aimez les histoires de pose de câbles sous-marins, 
vous pouvez aussi relire l'excellent reportage de Neal Stephenson 
<http://www.wired.com/wired/archive/4.12/ffglass_pr.html>.)

Après les points d'échange où se connectent les opérateurs, et les 
câbles qui les relient, où se trouve physiquement l'Internet ? Bien sûr 
dans les grands "data centers" où sont hébergées les données. C'est la 
troisième partie du livre. L'auteur revient sur le scandale de The 
Dalles, où Google était arrivé en terrain conquis, imposant même au 
maire de ne pas informer son propre conseil municipal sur les projets 
en cours. Et, alors que visiter les points d'échange et les stations 
d'atterrissage des câbles n'avait posé aucun problème au journaliste, 
il s'est par contre heurté à un mur en tenant de visiter un "data 
center" de Google : il n'a pas dépassé la cafétéria, où les officiels 
lui ont servi un excellent saumon bio et un très indigeste discours 
"corporate" comme quoi Google était formidable, « Hein, John, dit au 
monsieur pourquoi c'est si formidable de travailler pour Google ». 
Comme le note l'auteur, « Google sait tout de nous, mais nous ne 
pouvons rien savoir de Google ».

Très peu d'erreurs dans ce livre, qui a été soigneusement étudié et 
bien vérifié. La plus amusante : ARIN qualifié, p. 121, de "Internet 
governing body". (Le RIPE-NCC, bien plus ancien, n'est guère 
mentionné.)


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http://www.frnog.org/

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