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L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE :
UNE NOUVELLE DÉMARCHE-CLÉ
DE LA COMPÉTITION COMMERCIALE

Eric Denécé
Les origines de l’intelligence économique

A partir de la fin des années 1950, les grandes entreprises anglo-saxonnes  
- britanniques et surtout américaines - créèrent des départements de  
marketing, influencés par les méthodes de raisonnement tactique militaires  
issues de la Seconde Guerre mondiale. Un des premiers exemples de  
transfert des savoirs du domaine militaire vers le domaine commercial fut  
le « marketing de combat », une pratique du marketing qui s’inspirait des  
principes d’affrontement, de motivation des troupes, d’infiltration du  
territoire de l’adversaire, en montrant l’analogie qui pouvait être faite  
entre un environnement concurrentiel et un champ de bataille. Le marketing  
fut ainsi défini, dès l’origine, comme l’ensemble des activités couvrant  
l’appréhension la plus scientifique possible du marché et la définition  
des actions nécessaires à sa conquête. Les entreprises prirent  
progressivement l’habitude de réaliser des études de marché afin de suivre  
l’évolution des attentes des consommateurs, le positionnement de leurs  
produits, les innovations techniques applicables à leurs activités et les  
actions des concurrents. Elles renouvelaient ces études chaque fois  
qu’elles envisageaient une modification de leur stratégie ou lorsqu’elles  
prévoyaient de sortir un nouveau produit. Mais les entreprises étaient  
prises au dépourvu si un événement important se produisait entre deux  
études de marché. Elles ressentirent alors le besoin de suivre en continu  
les concurrents et l’évolution de la consommation. Ainsi se développèrent  
les activités de veille concurrentielle et commerciale. Parallèlement, les  
scientifiques apprirent à suivre l’avancement des travaux de leurs  
confrères et néanmoins concurrents. Ils donnèrent naissance aux pratiques  
de veille technologique, au départ centrées sur les publications  
scientifiques et techniques, les brevets, la consultation de banques de  
données et la participation à des colloques.

Puis, au début des années 1960, en raison du contexte d’affrontement  
concurrentiel croissant entre les grandes entreprises américaines sur leur  
propre marché intérieur, est apparue l’intelligence économique - désignée,  
outre-Atlantique, sous les vocables de Business, Competitive ou Corporate  
Intelligence - directement issue des pratiques de renseignement  
développées à l’occasion de la Guerre froide. Elle n’a cessé de se  
développer, notamment dans les années 1970 et 1980, au sein d’entreprises  
telles que Motorola et IBM, pour s’imposer au début des années 1990.  
Depuis, elle est largement pratiquée et enseignée. L’intelligence  
économique n’est donc pas fondamentalement une nouvelle discipline. Elle a  
toujours existé. Dès le début des années 1960, le service d’information de  
General Motors disposait d’un budget équivalent à celui des services  
secrets français. Au Japon, le Worldwide Information Network de Mitsui est  
aujourd’hui un réseau centralisé aussi important, par sa taille et ses  
effectifs, que celui de la CIA. Mais cette discipline est restée longtemps  
cantonnée au sein de quelques grands groupes. Elle se généralise  
aujourd’hui en raison du nouveau contexte auquel doivent faire face les  
acteurs économiques : globalisation et multilatéralisation, accroissement  
de l’intensité concurrentielle et instabilité des marchés.

Le développement récent de l’intelligence économique n’a rien d’un effet  
de mode. Il est dû à un phénomène subi et non voulu. Les entreprises, y  
compris les plus grandes, constatent que leurs moyens traditionnels  
d’action sur l’environnement sont devenus inopérants. Il leur faut donc  
recourir à de nouveaux modes d’action et apprendre à peser sur les  
phénomènes instables qui caractérisent l’environnement.
Qu’est ce que l’intelligence économique ?

  Il n’existe pas, en France, de définition unique ou partagée par tous de  
l’intelligence économique. C’est l’une des raisons du flou qui entoure la  
discipline. La définition élaborée par la commission du XIe plan, en 1994,  
s’avère aujourd’hui largement insuffisante car elle ne prend pas  
suffisamment en compte les actions d’influence. C’est pourquoi il est plus  
aisé d’appréhender cette discipline à travers ses pratiques.

L’intelligence économique, dans son sens le plus large, remplit six  
fonctions au profit de l’entreprise :

- elle fournit une nouvelle grille de lecture de l’environnement  
concurrentiel qui permet de décrypter les rapports de force, de percevoir  
et de comprendre les stratégies cachées de la compétition économique et de  
se mouvoir en fonction de cette dynamique ;

- elle offre une nouvelle méthodologie d’acquisition et de gestion de  
l’information fondée sur le « cycle du renseignement », qui permet à  
l’entreprise de mieux surveiller son environnement et de détecter les  
opportunités comme les menaces. « L’intelligence économique ne viole pas  
les secrets mais tente de les précéder, notamment avant que ceux ci ne  
soient formalisés et protégés par le droit »1 ;

- elle assure la protection de la stratégie, des savoirs et savoir-faire  
de l’entreprise : dissimulation des intentions, protection du patrimoine  
scientifique et technologique, gestion des connaissances, mesures de  
sécurité physique, etc.

- elle apprend à utiliser les NTIC comme un levier de création de valeur,  
comme un nouveau mode d’organisation, mais aussi comme un moyen d’action  
original, en les employant comme une arme au service du développement de  
l’entreprise. En la matière, les modalités peuvent varier : utilisation  
orientée de l’information, lobbying, désinformation, etc.

- elle conduit également à coordonner des jeux d’acteurs, à mettre en  
place des partenariats ou des stratégies d’alliance, pour des buts  
ponctuels ou durables. Car aujourd’hui une organisation, quelle que soit  
sa nature, ne peut plus résoudre seule les problèmes auxquels elle est  
confrontée. L’intelligence économique intervient pour construire des liens  
en réseau : réseaux matériels de communication, réseaux classiques de  
connaissances, mais aussi pensée en réseau, diffusion transversale de  
l’information, analyse par critères de diverses natures, mise en oeuvre  
d’actions multi-terrains, etc2. Ce développement des réseaux répond ainsi  
au besoin d’échange de savoirs, de technologies et d’informations  
relatives aux marchés et à leur environnement. La coordination des jeux  
d’acteurs débouche sur des stratégies d’action concertées (actions  
collectives d’acteurs, firme-réseau ou réseaux de firmes), sur la mise en  
oeuvre de stratégies d’influence (organisation de maillages stratégiques  
d’acteurs, à la fois offensifs et défensifs) et sur la mutualisation des  
démarches de veille (création de bases de données générales et  
spécialisées et extension des réseaux à l’international). Au niveau d’une  
nation, l’intelligence économique identifie et active systématiquement les  
potentiels de complémentarité des acteurs en vue de l’accroissement de la  
prospérité nationale et de la projection de leur influence sur les marchés  
mondiaux. L’intelligence économique débouche donc sur une démarche  
d’échange et de partage collectif de l’information dans l’entreprise,  
entre les entreprises, mais aussi entre l’Etat et l’ensemble des acteurs  
économiques ;

- elle permet enfin de modifier l’environnement et de changer les règles  
du jeu. En effet, s’adapter, c’est se conformer aux rapports de forces du  
moment ; c’est limiter l’action à l’approche défensive. La stratégie des  
acteurs se résume alors au changement permanent et se réduit à la  
construction d’une structure agile. C’est là déboucher sur des  
comportements de résignation. Pour sortir de cette logique, une seule  
modalité d’action existe : modifier l’environnement en changeant les  
règles du jeu. Cette finalité est un des aspects essentiels de  
l’intelligence économique : sortir d’une logique de domination imposée par  
la concurrence.

Mais comment changer les règles du jeu ? Il s’agit de déplacer la  
compétition économique sur des terrains où l’entreprise dispose d’atouts  
ou d’avantages, en établissant d’autres facteurs-clés de succès. Il s’agit  
non pas de s’adapter à l’environnement, mais de l’infléchir. Est-il  
aujourd’hui encore possible d’être compétitif sans changer les règles du  
jeu ? Cela s’avère de plus en plus difficile. Mais s’affranchir des règles  
du jeu ne signifie pas pour autant que l’on soit libre de toute  
contrainte. Il faut se donner les moyens d’une nouvelle stratégie dans un  
nouvel environnement.L’intelligence économique a donc pour but de préparer  
le marché à l’action de l’entreprise (pénétration des milieux d’affaires,  
opérations d’influence, conditionnement de centres de décision) et cherche  
à utiliser à son avantage les règles du jeu. Elle met en place des réseaux  
pour appuyer par l’information et par l’influence des opérations de prise  
de contrôle de marchés, grâce à l’utilisation offensive de l’information.  
Elle va au-delà d’une simple logique commerciale pour appréhender et  
influer sur les multiples ressorts des choix, car il ne suffit plus d’être  
le plus compétitif sur ses segments pour gagner. Il faut désormais être le  
plus innovant en matière de stratégie globale et savoir développer des  
actions d’influence ciblées.

*

  L’intelligence économique a pour finalité de créer les conditions  
favorables à l’action de l’entreprise, dans la société mondialisée de  
l’information et des échanges, où la conflictualité est forte. Elle se  
fonde sur une combinaison d’actions variées et originales, visant à  
déceler, provoquer et exploiter des opportunités, ou à anticiper et  
neutraliser des menaces.

L’intelligence économique est la discipline qui révèle l’information à la  
fois comme un facteur de production et comme une arme. Elle est un levier  
qui permet aux entreprises et aux économies de survivre et de se  
développer. Le recours accru à cette approche est rendu nécessaire par la  
généralisation de la compétition économique, par la montée en puissance de  
la concurrence internationale et par l’extraordinaire opportunité que  
constitue l’entrée de nos sociétés dans l’ère de l’information. Les  
gagnants seront ceux qui sauront passer d’une simple veille technologique  
ou concurrentielle à un processus complet d’intelligence économique. Cette  
attitude était auparavant réservée aux stratégies de combat : elle  
deviendra, du fait de la multiplication des flux d’informations et de la  
concurrence économique transportée sur de nouveaux terrains, le mode de  
raisonnement normal du décideur 3. Car, « dans la guerre économique  
mondiale ne pourront espérer profiter de la croissance internationale que  
ceux qui sauront anticiper les stratégies concurrentielles et les  
tendances de la consommation, qui seront créatifs dans une adaptation  
permanente au marché, qui sauront mobiliser les énergies pour appuyer  
leurs manoeuvres offensives et enfin qui seront compétitifs par une offre  
de produits et de services adaptée aux possibilités financières des  
consommateurs et globalement moins onéreuse que les produits concurrents  
auxquels elle se substitue »4. Aussi, il est impératif de développer  
l’intelligence économique de manière rigoureuse et d’en professionnaliser  
la pratique. Car les qualités compétences indispensables à sa pratique ne  
sont pas inné et la référence à Mr Jourdain totalement erronée.

Les entreprises qui se posent la question de l’intelligence économique -  
ou celles qui n’en font pas encore - ne sont que des firmes en sursis. Il  
existe un seuil minimal de surveillance des environnements en dessous  
duquel l’entreprise met en danger sa compétitivité. Ceux qui se demandent  
aujourd’hui à quoi sert l’intelligence économique sont ceux qui se  
demandaient à quoi servait la communication, un salon ou une étude de  
marché il y a quelques décennies. Mais il faut prendre garde à ne pas  
nourrir de faux espoirs en ce qui concerne cette discipline. Quoiqu’elle  
soit indispensable, elle n’est pas une arme miracle. Le renseignement ne  
gagne jamais les guerres à lui tout seul. Si la connaissance est une  
condition nécessaire, elle n’est en aucun cas suffisante. Ce n’est pas  
parce que l’on sait, souvent très approximativement, ce que l’adversaire  
va faire que l’on peut effectivement l’en empêcher. Comme l’a dit un jour  
un spécialiste anglais du renseignement, avec cet humour propre aux  
Britanniques : « si vous êtes ligoté sur une voie de chemin de fer, la  
tête sur une file de rails et les pieds sur l’autre, la connaissance de  
l’horaire des trains ne vous procurera qu’une faible consolation ! ».

La condition suffisante c’est la qualité de la stratégie et l’adéquation  
des moyens aux buts déterminés. Dès lors la victoire appartient au  
belligérant le plus fort et le plus intelligent. Le renseignement permet  
d’être plus fort et plus intelligent, en rendant possible l’utilisation  
plus judicieuse des moyens dont on dispose ; il est sans utilité si l’on  
est sans moyens et sans capacités.

Eric Denécé

1 Roland Meyer, "Intelligence économique et nouvelles pratiques sociales",  
Revue française d'intelligence économique, AFDIE, n° 3, octobre 1998, p.  
74.

2 Claude Revel, "Diplomatie exportatrice américaine et élites françaises",  
CCE international, n° 461, mars 1998.

3 C. Revel, op. cit.

4 Jean-Pierre Lhote, "Information et soutien des PME : le cas RESIS",  
Revue d'intelligence économique, n°1, AFDIE, mars 1997, p. 77.

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