In quest'articolo di Baumann i problemi delle politiche della
popolazione (migrazioni, urbanizzazioni etc.) "sont générés dans
«l'espace des flux» mais doivent être abordés et traités dans «l'espace
des lieux». La signification nouvelle de l'endroit naît, se nourrit et
se consolide perpétuellement de cette nouvelle condition globale".  Da
Libèration del 21-7

mcs



Jadis privilège de quelques régions, la modernité a gagné toute
l'humanité. Et les problèmes locaux sont devenus globaux.
Une planète pleine et sans espace







Par Zigmunt BAUMAN

lundi 21 juillet 2003






Zygmunt Bauman est professeur émérite 
de sociologie aux universités de Varsovie et de Leeds. 
Dernier ouvrage paru : «Modernité et Holocauste» 
(la Fabrique, 2002). 
A paraître à l'automne : «L'Identité en pièces», éditions 
du Rouergue  Jacqueline Chambon, coll. «les Incorrects». 

L'élimination d'êtres humains devenus «superflus» dans les régions plus
développées fut le sens le plus profond de la colonisation et des
conquêtes impérialistes. 




Commençons par le processus de remplissage de la planète : notre planète
est aujourd'hui pleine. Il ne s'agit pas là d'un constat de géographie
physique ni même humaine. C'est une proposition sociologique. En termes
d'espace physique et d'extension de la cohabitation humaine, la planète
est tout sauf pleine. Dire que la planète est pleine, c'est simplement
dire qu'il n'y a plus d'espace sans maître, de no man's lands, de
territoires qui peuvent être traités comme vides de toute présence
humaine, parce qu'ils sont dépourvus d'administration souveraine, et
donc ouverts à la colonisation et au peuplement. Pendant une grande
partie de l'histoire moderne, ces territoires, aujourd'hui absents pour
l'essentiel, ont joué un rôle crucial, le rôle de décharges pour les
rebuts et les déchets humains produits en quantités toujours plus
grandes dans les parties du monde touchées par le processus de
«modernisation».
La production de déchets humains, ou plus exactement d'humains superflus
et gaspillés, est un élément inévitable de la modernité, de cette
condition sociale qui se caractérise par une modernisation perpétuelle
et compulsive, obsessionnelle et addictive. La production de gaspillage
est un effet indissociable de la construction de l'ordre (car chaque
type d'ordre prive certaines parties de la population existante de sa
place légitime, les définissant comme «inutiles», «incompétentes»,
«inadaptables» ou «indésirables») et du progrès économique qui ne peut
se perpétuer sans une dévalorisation des modes qui permettaient jadis,
mais plus aujourd'hui, de «gagner sa vie» privant ainsi ceux qui les
pratiquent de moyens de subsistance.
Cependant, au cours d'une longue partie de l'histoire moderne, de vastes
régions du globe ont échappé, complètement ou partiellement, aux
pressions de la modernisation. Face aux secteurs modernisés du globe,
ces territoires («prémodernes» «sous-développés» «arriérés») ont eu
tendance à être considérés et traités comme des destinations naturelles
pour les êtres humains devenus «superflus» dans les régions plus
développées du globe, des décharges manifestes pour les déchets humains,
le gaspillage de la modernisation. L'élimination de ces déchets produits
dans les régions «en voie de modernisation» fut le sens le plus profond
de la colonisation et des conquêtes impérialistes, que la limitation du
«développement» à une partie de la planète rendit possible et en fait
inévitable. Le fait que les processus de modernisation demeurèrent
limités au niveau territorial permit à la partie moderne du globe de
rechercher et de trouver des solutions extérieures globales à des
problèmes intérieurs de surpopulation produits localement.
Cette situation a duré au fur et à mesure tant que le mode moderne
d'existence est demeuré le privilège de quelques régions du monde
seulement. Aujourd'hui, cependant, la modernité est devenue, comme
prévu, une condition universelle ou quasi universelle de l'humanité, et
la production de déchets humains s'est généralisée à pratiquement tout
le globe. Il n'y a donc plus de débouchés globaux pour les surplus
locaux tandis que toutes les régions (y compris les plus fortement
modernisées) doivent souffrir les conséquences du triomphe mondial de la
modernité : elles se trouvent toutes confrontées à la nécessité de
rechercher désespérément des solutions locales à des problèmes produits
de façon globale.
En résumé, le remplissage de la planète, phénomène nouveau et sans
précédent, représente pour l'essentiel une crise aiguë de l'industrie du
traitement des déchets humains qui se trouve à présent manquer de
décharges et d'instruments de recyclage, pendant que la production de
ces déchets se poursuit sans faiblir et gagne rapidement en volume.
Une autre tendance importante est la fin de l'ère de l'espace. Là
encore, une fois de plus, une précaution est nécessaire. La fin de l'ère
de l'espace ne signifie pas que l'espace ne compte plus. L'importance de
l'espace physique n'évolue guère, mais ce processus est associé à une
accentuation brutale de la signification du territoire, de l'endroit, du
lieu. En posant le verdict d'une fin de l'ère de l'espace, je veux
parler de la nouvelle extraterritorialité du pouvoir et du remplacement
de l'engagement territorial par la mobilité comme facteur stratégique
décisif dans la lutte pour le pouvoir. Dans la hiérarchie globale qui se
fait jour, règnent ceux qui dépendent le moins de l'espace, qui sont les
moins attachés à un lieu et les plus libres de se déplacer et de
déménager. Dans «l'espace des flux» où s'inscrivent et fonctionnent les
pouvoirs globaux, ce sont la vitesse de mouvement et l'aisance à se
désengager et à s'échapper, et non la taille des possessions
territoriales, qui importent. Le retranchement territorial ralentit le
mouvement ou exclut sa possibilité même, il n'est donc plus un atout
mais un fardeau et un handicap. L'éventualité de s'attacher à un
territoire, de prendre des responsabilités à long terme pour un endroit
fixe et immobile, doit être évitée à tout prix, et les acteurs les plus
grands et puissants qui comptent véritablement aujourd'hui font tout ce
qu'ils peuvent pour l'éviter. Les nouveaux empires ne sont pas de ce
monde, ils n'appartiennent pas à la réalité terrestre et géographique, à
«l'espace des lieux.»
D'autre part, les lieux ont perdu leur capacité de protection. L'époque
des lignes Maginot ou Siegfried est terminée. S'accrocher à un endroit
aussi hermétique et fortifié qu'il soit n'est plus une garantie de
sécurité. Le pouvoir n'est plus territorial et il ne respecte plus les
défenses territoriales. Les frontières sont éminemment perméables. Le
pouvoir fluide ne respecte guère les obstacles ; il suinte par les murs
aussi épais qu'ils soient, il passe facilement par les milliers de
fissures, de fentes et de crevasses, aussi fines soient-elles. Il
n'existe aucun mastic capable de boucher les trous et d'arrêter les
fuites.
C'est sous ces conditions défavorables que les forces étatiques, coupées
du flux global, fixées et immobilisées par leur souveraineté et leurs
responsabilités territoriales, doivent rechercher des solutions locales
à des problèmes produits au niveau mondial. Ces problèmes sont générés
dans «l'espace des flux» mais doivent être abordés et traités dans
«l'espace des lieux». La signification nouvelle de l'endroit naît, se
nourrit et se consolide perpétuellement de cette nouvelle condition
globale.
La troisième tendance dérive des deux autres. Après deux siècles environ
de mariage, le pouvoir et la politique, installés joyeusement dans le
cadre de l'Etat-nation moderne, semblent se diriger vers le divorce. Les
deux partenaires regardent dans des directions opposées : l'un se trouve
inconfortable dans le domicile partagé et l'autre est de plus en plus
contrarié par les absences prolongées de son partenaire. Le pouvoir
n'aime plus les étreintes de la politique et les bras aimants de
celle-ci s'ouvrent vainement sur le vide.
Ayant déménagé vers des étages plus élevés, le pouvoir a démoli
l'escalier et placé des gardes armés devant l'ascenseur. La politique,
abandonnée dans l'appartement, s'est vu interdire l'accès au nouveau
domicile du pouvoir qui s'est fait mettre sur liste rouge. Les messages
envoyés poste restante ne sont pas certains de toucher leur destinataire
et les réponses sont laissées à son entière discrétion. Privée du
partenariat du pouvoir, source ancienne de sa force et de sa confiance,
la politique doit conserver le sourire, accepter son sort, espérant en
vain cacher son impuissance
D'autres résidents de l'ancien foyer du pouvoir et de la politique
quittent la maison en foule ; privée de pouvoir, la politique ne peut
surveiller efficacement la sortie. D'ailleurs, même si elle en avait les
moyens, elle ne le ferait pas : ces résidents querelleurs posent trop de
problèmes. La politique de l'Etat ou de la nation serait heureuse de
voir la plupart d'entre eux s'installer hors de son domaine. Elle les
harcèle et les incite à partir au moyen de stratégies diverses baptisées
«dérégulation», «privatisation» ou «principe de subsidiarité». La
plupart des fonctions que la politique employait sont à présent
concédées aux forces du marché et au domaine nouveau de la «politique de
la vie», cette politique qui encourage les citoyens des Etats-nations à
rechercher des solutions personnelles à des problèmes d'origine sociale.
Le pouvoir est libre de parcourir «l'espace global des flux» sans
accorder de reconnaissance autre que formelle aux anciennes formes de
contrôle politique tandis que la politique privée de tout pouvoir ne
peut qu'observer malheureuse et impuissante ses pitreries. Le mieux
qu'elle puisse espérer c'est de s'attirer les bonnes grâces des pouvoirs
extraterritoriaux tout en dirigeant les coups vers d'autres
souverainetés également territoriales .



---
Outgoing mail is certified Virus Free.
Checked by AVG anti-virus system (http://www.grisoft.com).
Version: 6.0.502 / Virus Database: 300 - Release Date: 18/07/2003
 

___________________________________________
rekombinant .network
http://rekombinant.org
http://rekombinant.org/media-activism
http://urbantv.it

Rispondere a