L'Express du 17/11/2005
Albanie
Le pays des Aigles et de la pègre

de notre envoyé spécial Philippe Broussard

Prostitution, blanchiment d'argent, corruption et trafics en tout genre... 
Quinze ans après la chute du communisme, la petite république des Balkans se 
retrouve sous l'emprise des mafieux. Le nouveau gouvernement veut les 
combattre, mais peut-il les vaincre?

 

 
  
Tirana est devenue le royaume des bétonneuses. Une ville-chantier où de 
nouveaux édifices sortent chaque jour de terre: ici, un immeuble de bureaux; 
là, une résidence haut de gamme. Et des restaurants, des bars, des magasins… La 
capitale albanaise (300 000 habitants), si terne au temps du communisme 
(1946-1990), ne cesse de prendre des couleurs, de repousser ses faubourgs. Il 
faut l'avoir connue à l'époque de la dictature, avec ses échoppes à trois sous 
et ses avenues désertes, pour mesurer l'ampleur du changement. Plus qu'un 
changement: une métamorphose.


Pareil dynamisme peut surprendre dans un pays de 3,5 millions d'habitants qui 
compte parmi les plus pauvres d'Europe. Mais seuls les étrangers s'en étonnent 
encore. Les Albanais, eux, connaissent le secret de cette fièvre immobilière. 
«C'est en grande partie du blanchiment d'argent», assure Besnik Mustafaj, 
ministre des Affaires étrangères, ancien ambassadeur à Paris. Policiers et 
magistrats le confirment: même s'il existe des chefs d'entreprise honnêtes et 
des expatriés prêts à investir sur leur terre d'origine, bien des projets du 
moment sont le fruit d'activités criminelles.


Le phénomène n'est pas récent. Les Européens, en particulier les «voisins» 
grecs et italiens, s'inquiètent depuis des années du rôle de ce pays dans la 
criminalité internationale. Les Américains se préoccupent aussi du sort de cet 
allié idéalement situé dans les Balkans. Fin 2003, leur ambassadeur, James 
Jeffrey, déclarait: «Le crime est en train de détruire l'Albanie et de jeter le 
doute quant à sa capacité à intégrer les institutions occidentales.» Depuis, le 
mal a empiré. Jamais la pègre locale n'a été si puissante, la corruption si 
répandue. Jamais le contraste n'a été si flagrant entre l'opulence d'une 
minorité et la pauvreté du plus grand nombre. L'Albanais le plus célèbre, 
l'écrivain Ismail Kadaré, en a conscience: pour lui, l'emprise des mafias est 
si forte que son pays ne connaît qu'une «liberté virtuelle».


La plupart de ses compatriotes souffrent, eux aussi, de cette situation. Ils 
l'ont fait savoir lors des élections législatives du 3 juillet en imposant une 
nouvelle donne politique. Les socialistes au pouvoir, soupçonnés des pires 
compromissions, ont été devancés par la droite. Un nouveau Premier ministre, 
impopulaire mais réputé intègre, a été intronisé en septembre: Sali Berisha 
(Parti démocratique). Un retour inespéré pour cet autocrate de 61 ans chassé de 
la présidence de la République en 1997, à la suite de graves émeutes.

Qui est corrompu, qui ne l'est pas? 

Sali Berisha, médecin de formation, avait axé sa campagne sur la lutte contre 
la corruption et le crime organisé, promettant même une opération «mains 
propres». Sitôt au pouvoir, il a nommé des ministres sans réputation d'aucune 
sorte, ayant pour la plupart étudié ou travaillé à l'étranger. Certains sont 
très jeunes, à l'image de Sokol Olldashi (Intérieur), âgé de bientôt 33 ans. 
Charge à eux de mettre en œuvre les promesses électorales: une réforme du Code 
pénal sur la corruption; la levée de l'immunité parlementaire pour tout élu 
suspect; des récompenses pour les délateurs... Cela suffira-t-il? Bien des 
observateurs sont sceptiques. Le mal est profond; il peut toucher tout le 
monde, y compris au sein de l'équipe Berisha.


Un visiteur étranger le comprend vite: le pays des Aigles est aussi celui du 
soupçon. A qui faire confiance? Qui est corrompu, qui ne l'est pas? Ce 
douanier? Ce juge? Cet élu? Idem pour l'argent: comment différencier le «sale» 
du «propre»? Impossible de passer devant un magasin de luxe - ils ne manquent 
pas à Tirana - sans s'interroger, à tort ou à raison, sur l'origine des fonds. 
Impossible, également, d'arpenter les rues de Vlora ou de Durrës, sur la côte 
adriatique, sans avoir des doutes sur les hôtels de bord de mer. Le parc 
automobile n'échappe pas à la suspicion: comment un pays dont 14% de la 
population survit avec moins de 1 euro par jour peut-il compter autant de BMW 
et de Mercedes?


Au quotidien, la corruption est partout. Payer à l'hôpital pour être mieux 
soigné. Payer à la mairie pour obtenir un acte de naissance… Une nouveauté 
cependant: nombre d'Albanais n'hésitent plus à s'en plaindre. Une association 
(CAO, Citizen's Advocacy Office), fondée par un ancien juge, Kreshnik Spahiu, 
tente même, avec succès, de «changer les mentalités». Mais le chemin est long, 
dans une société ivre de consommation après quarante-cinq ans d'isolement et de 
privations.


C'est ainsi: tout s'achète en Albanie, à condition d'y mettre le prix. Un 
narcotrafiquant n'a-t-il pas soudoyé le conseil municipal de sa petite ville 
pour que soit votée la construction, sur les deniers publics, d'une route 
d'accès à sa propriété? Justice et police n'échappent pas à la contagion. «Rien 
de plus simple que de corrompre un juge, confie un habitué des milieux 
judiciaires. Les avocats s'en chargent volontiers, ils servent à ça chez nous!» 
Bien des responsables policiers ont bénéficié du système. Certains se sont 
enrichis en travaillant aux frontières, à l'aéroport de Tirana ou sur le port 
de Durrës. «Les collègues malhonnêtes sont de moins en moins nombreux, assure 
néanmoins un policier de haut rang. La situation évolue dans le bon sens.»

Domaine de prédilection: le proxénétisme

Les grands corrupteurs, eux, ne désarment pas. Ils constituent une confrérie 
hétéroclite aux contours mal définis. Il y a là des négociants internationaux, 
habitués à frauder le fisc; des hommes d'affaires enrichis par les 
privatisations; ou encore d'anciens ministres, assez habiles pour avoir su 
conjuguer fonctions publiques et intérêts privés. Sans oublier les authentiques 
malfaiteurs, membres de ce qu'il est convenu d'appeler le «crime organisé». Il 
ne s'agit pas d'une mafia au sens italien du terme; plutôt de groupes assez 
restreints, rassemblant des hommes d'un même quartier ou d'un même clan.


Dans les années 1990, l'émigration clandestine a fait leur fortune. Le marché 
était porteur: entre 1991 et 2001, au moins 700 000 Albanais ont fui le pays, 
en priorité vers l'Italie, la Grèce et la Grande-Bretagne. De telles filières, 
destinées également aux étrangers en transit (Chinois, Kurdes, etc.), existent 
toujours, mais sans atteindre les proportions des années d'exode. Les réseaux 
travaillent désormais de manière plus pointue, plus professionnelle, en 
fabriquant par exemple des faux passeports.


Au fil du temps, les gangs ont gagné en envergure et noué des liens hors de 
leurs frontières (Serbie, Turquie, Russie…). Certains ont profité des conflits 
dans les Balkans, en particulier au Kosovo (1999), pour prospérer dans le 
trafic d'armes. D'autres ont opté pour la vente de véhicules volés en Europe de 
l'Ouest. Leur domaine de prédilection demeure cependant le proxénétisme. Là 
aussi, l'Albanie est une plaque tournante.


Les Albanais ont leurs techniques pour séduire les futures prostituées, qu'il 
s'agisse ou non de compatriotes. Ils ont également leurs réseaux pour acheter 
(de 1 500 à 3 000 euros) des jeunes filles originaires de Bulgarie ou de 
Moldavie. Celles-ci seront ensuite «placées» ici ou là selon un système bien 
rodé. Les Albanais contrôlent ainsi une partie de la prostitution de rue en 
Italie, à un degré moindre en Grèce. En Belgique ou aux Pays-Bas, seuls les 
Bulgares peuvent prétendre rivaliser avec eux. Prudents, ces proxénètes passent 
l'essentiel de leur temps au pays, à attendre les virements bancaires des 
femmes sur lesquelles ils exercent, même à distance, une pression constante. 
Bien souvent, la police les connaît mais rechigne à intervenir. Il faut que les 
enquêteurs occidentaux se rendent sur place, munis de commissions rogatoires 
internationales - les Belges le font fréquemment - et nouent des relations de 
confiance avec certains de leurs homologues, pour espérer obtenir 
 des résultats. Les gains de la prostitution donnent la mesure du poids 
économique des proxénètes. Une femme «travaillant» en vitrine à Bruxelles peut 
gagner entre 1 000 et 1 500 euros par jour. Le salaire mensuel d'un ministre en 
Albanie.


Autre activité florissante: le trafic de stupéfiants. Dans ce domaine aussi, ce 
pays est en première ligne. Il est même devenu une «petite Colombie», pour 
reprendre l'expression du policier français Jean-François Gayraud, auteur du 
livre Le Monde des mafias. Géopolitique du crime organisé (Odile Jacob).


Le cannabis, cultivé dans le Sud et près de Tirana, est vendu en Italie. Quant 
à l'héroïne, produite en Afghanistan et en Turquie, elle transite soit par la 
Serbie (le «couloir nord», selon les experts), soit par l'Albanie même (le 
«couloir sud») avant d'être acheminée vers l'ouest. «Les Albanais règnent sur 
le marché belge et vont jusqu'à Amsterdam acheter de la cocaïne», constate un 
policier bruxellois. L'argent, lui, est blanchi en Europe occidentale ou à 
Tirana. La pratique est si courante, dans la capitale, qu'elle n'étonne plus 
personne. Magasins, bars, appartements… Ces investisseurs-là n'empruntent pas 
aux banques. Ils paient cash, et sans regarder à la dépense. La population se 
doute bien d'où viennent les fonds, mais elle semble se dire que, après tout, 
ils alimentent une économie nationale en forte croissance (+ 6% en 2003 et 
2004) … Etrange ville où un magistrat peut vous convier à prendre un verre dans 
un restaurant à la mode et confier en souriant: «Le patron es
 t un ancien policier reconverti dans l'héroïne!»


Dans ces conditions, comment éviter que ce pays ne soit, selon l'expression de 
ce même magistrat, un «corridor mafieux entre l'Est et l'Ouest»? «Nous ne 
pourrons pas résoudre ce problème seuls, reconnaît Besnik Mustafaj, ministre 
des Affaires étrangères. Il nous faudra l'aide de la société civile et de nos 
partenaires occidentaux.»


De l'avis général, des progrès ont toutefois été faits depuis cinq ans. Les 
lois ont été durcies, des réseaux démantelés, des mafieux incarcérés (310 en 
2003) et leurs biens saisis. Il semble même que certains trafics (voitures, 
armes, cigarettes) soient en baisse. Quant à l'aide extérieure, elle n'a jamais 
été aussi importante. Diverses organisations, comme l'Office des migrations 
internationales (OMI), aident les ex-prostituées. Les Etats-Unis et l'Union 
européenne contribuent à l'informatisation des fichiers de la police. Vingt 
douaniers occidentaux travaillent sur place, avec les Albanais. La France 
organise des stages pour les cadres de la police. L'Italie dispose pour sa part 
d'une trentaine de fonctionnaires expatriés. «La coopération a gagné en 
efficacité, constate Angelo Greco, responsable de ce service baptisé 
Interforce. Le cadre législatif existe. Il reste à le mettre en œuvre. Il faut 
frapper, et frapper fort.»

«Un système judiciaire gangrené»

Les autorités se disent prêtes à agir, quitte à faire le ménage dans les rangs 
d'une administration mal formée et sous-payée. En 2004, 50 douaniers ont été 
déférés devant la justice. Mais, cette fois encore, comme dans les dossiers 
criminels, toutes les procédures n'aboutissent pas, le plus souvent par manque 
de pugnacité de la justice. «Le système judiciaire est gangrené», estime 
Kreshnik Spahiu (association CAO).


Autre défi majeur: le contrôle des mouvements financiers. Selon Kol Hysenaj, un 
procureur spécialisé dans la délinquance financière, certaines banques jouent 
volontiers un rôle de «machine à laver». Ce blanchiment a pris une telle 
ampleur qu'il faudrait une armée de fonctionnaires, à la fois incorruptibles et 
insensibles aux menaces, pour s'y attaquer. Problème: ils risqueraient alors de 
se heurter à ceux que l'on surnomme ici les «intouchables». La très haute 
hiérarchie de la pègre. Celle qui, d'après les spécialistes, arrive aujourd'hui 
à «maturité».


Quelques dizaines de jeunes chefs mafieux, retirés ou non des activités 
criminelles, sont si influents qu'ils paraissent hors d'atteinte. Certains 
tentent de se lancer en politique ou d'investir dans les médias. L'un d'eux, 
Vajdin Lamaj, un ex-officier de police connu pour trafic d'armes, est ainsi 
devenu actionnaire d'une chaîne de télévision très populaire (Top Channel), 
président de la fédération de boxe et propriétaire de restaurants, avant de 
mourir, le 27 février dernier, dans un attentat. Une bombe, activée à distance 
à l'aide d'un téléphone portable, a explosé dans l'ascenseur où il venait de 
monter. D'après Kreshnik Spahiu, Vajdin Lamaj n'était pas un cas isolé. «En 
achetant des journaux ou des chaînes de télé, d'autres personnages douteux 
gagnent en influence», explique-t-il.


La marge de manœuvre du nouveau pouvoir est donc étroite. Il lui faut agir vite 
sans pour autant donner l'impression de mener une chasse aux sorcières. Début 
septembre, une première affaire a montré la difficulté de ce défi, à la 
frontière du banditisme et de la politique. Un homme présenté comme un 
«intouchable» à Durrës, Leonard Koka, a été incarcéré pour contrebande de 
cigarettes. La fraude portait, semble-t-il, sur 2,5 millions de paquets. Or il 
se trouve que Koka est le beau-frère de l'ex-ministre de l'Agriculture, Agron 
Duka. Il passe en outre pour être un proche de l'ancien Premier ministre 
socialiste, Fatos Nano. Les Albanais ont perçu son arrestation comme un signal 
fort. Le début d'une opération «mains propres» à l'issue encore incertaine.


Post-scriptum 
Un important trafic de faux papiers vient d'être démantelé en Albanie. La 
police a saisi 1 000 passeports, de 29 pays. A ce jour, 10 personnes ont été 
arrêtées, dont 3 officiers de police en poste à l'aéroport de Tirana. Un faux 
visa français coûtait 2 500 euros; un passeport américain, 16 000 euros.

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