Ahmedou OULD-ABDALLAH - Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU en Afrique de l'ouest :
« En Afrique, la corruption est endémique, impunie, voire glorifiée, et son produit exporté » Ahmedou Ould-Abdallah est un diplomate comme en rencontre rarement. Lorsqu’il parle en public, il ne mâche pas ses mots et le titre, un tantinet provocateur, de la dernière étude en date publiée par son bureau le prouve : « La vie après le Palais présidentiel » ! Bien loin du traditionnel langage « onusien » ! À 66 ans, ce Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest regarde le monde et nous en livre sa vision dans cette interview exclusive accordée à Echos de la Banque mondiale, magazine du bureau régional de Dakar. Propos recueillis par Mademba NDIAYE ■ À quoi sert un Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU dans une région donnée, comme celle de l’Afrique de l’Ouest ? C’est une très bonne question. Le Représentant spécial est choisi par le Secrétaire général de l’ONU et ce choix est approuvé par le Conseil de sécurité. Ma position actuelle est particulière car c’est la première fois qu’est nommé un représentant spécial pour couvrir toute une région. Ce faisant, le Secrétaire général vise deux objectifs. D’abord un soutien à la CEDEAO, une organisation sous-régionale qui fonctionne bien et qui, créée sur la base d’objectifs économiques, a su, par nécessité, gérer des conflits et des crises. Ensuite, une présence en Afrique de l’Ouest, une région assez troublée, notamment en Sierra Leone et au Liberia. Ma mission est également une mission de bons offices, de prévention des conflits et de consolidation de la paix dans cette région. ■ Les Nations Unies, ce sont d’abord des États. Vous représentez le Secrétaire général qui, lui-même, rend compte aux États. Dans ce contexte, ces États voient-ils d’un bon oeil il un Représentant spécial qui va discuter avec des opposants, des rebelles, etc. ? C’est vrai, les Nations Unies sont une organisation intergouvernementale par excellence, donc constituées d’États membres qui, à des niveaux divers, accueillent des organisations de la société civile comme membres consultatifs. Mais une évolution se fait jour. Cette organisation a, dès le départ, posé la question du sort des populations par le fameux «Nous, les peuples des Nations Unies…» figurant dans le préambule de la Charte. Les États sont aujourd’hui plus matures que dans les années 60 et acceptent maintenant la diversité politique. Lorsque des dérapages se produisent, il faut attirer l’attention non seulement des gouvernements, mais aussi de tous les acteurs locaux sur la situation. Dans les cas sérieux, se pose le problème de la protection des populations. La grande question encore en suspens est : la souveraineté nationale englobe-t-elle le droit d’opprimer souverainement son peuple ? ■ Cela voudrait-il dire qu’il faudrait autoriser une intervention étrangère pour défendre une population opprimée par son propre gouvernement ? La question se pose depuis quelques années. Le droit d’ingérence a été ponctuellement évoqué. La souveraineté politique donne-t-elle le droit d’opprimer ses propres citoyens à huis clos ? Certainement pas ! (cf. Résolution du Conseil de sécurité No 1674 du 28 avril 2006). ■ Quand vous recevez une personnalité en rébellion contre l’autorité légitime, n’avez vous pas le sentiment que vous lui conférez une légitimité compte tenu de ce que vous représentez sur le plan diplomatique ? Ce dilemme ne constitue pas un problème nouveau pour les Nations Unies. Chaque fois que nous rencontrons un chef rebelle ou, pour être plus précis, une personne luttant avec des armes contre un gouvernement établi, nous pensons à une possible manipulation. Pour ma part, je me sens dans la même situation que le journaliste interviewant ou les humanitaires assistant des rebelles. Cependant, les Nations Unies sont tenues de faire la part des choses et de s’interroger sur les motivations d’une rébellion. Une révolte qui perdure et jouit d’une base populaire interpelle. La faute est-elle d’un seul côté ? N’y a-t-il pas eu exclusion, mépris et même répression par un gouvernement trop sûr de lui : autoritaire et totalitaire ? Cette situation ne touche pas des régimes démocratiquement élus. ■ Monsieur le Représentant, tous les regards sont, aujourd’hui, tournés vers la Côte d’Ivoire avec le récent vote d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité. Comment analysez-vous la situation ivoirienne ? Pensez-vous qu’il soit possible de sortir de cette crise avec les principaux acteurs politiques actuels ? La crise en Côte d’Ivoire n’a que trop duré, tant pour les Ivoiriens que pour les peuples de la région. De plus, sa prolongation explique en grande partie l’accroissement très fort des migrations illégales vers l’Europe. Il est clair que le dynamisme de l’économie ivoirienne attirait des jeunes de la région vers ce pays. Il n’en demeure pas moins que ni les Nations Unies ni l’Union africaine ne peuvent imposer la paix à ceux qui n’en veulent pas. La prolongation de cette crise pose un problème de crédibilité tant aux élites ivoiriennes qu’à tous les acteurs extérieurs concernés. Si le processus (Résolution 1721) mis en place pour gérer le conflit est torpillé par les Ivoiriens, il nous faut agir autrement pour réaffirmer cette crédibilité internationale menacée. ■ Quand vous dites « Nous », de qui parlez-vous ? Certainement pas de moi, mais des Nations Unies, de la CEDEAO, de tous ces acteurs extérieurs qui s’intéressent à la résorption de la crise ivoirienne. Ces acteurs ne peuvent continuer à voter résolution après résolution, adopter déclaration après déclaration sans en suivre avec sérieux la mise en oeuvre. Il faut imaginer des solutions capables d’aider les Ivoiriens à retrouver la paix. La dernière résolution du Conseil de sécurité (Résolution 1721 du 1er novembre 2006) mérite le soutien à la fois des membres du Conseil qui l’ont adoptée à l’unanimité, et des États de la région et des leaders ivoiriens qui aspirent à la paix. Sans mise en oeuvre de la Résolution 1721, les recours crédibles s’épuisent et les extrémismes reprennent du poil de la bête. ■ Quand vous rencontrez les principaux dirigeants politiques de ce pays, Laurent Gbagbo, Konan Bédié, Alassane Ouattara et Guillaume Soro, avez-vous le sentiment qu’ils sont prêts à se faire confiance réciproquement ? Difficile de répondre à cette question. Ces quatre dirigeants, que je connais fort bien, se connaissent parfaitement les uns les autres. Ils emploient volontiers un langage de circonstance vis-à-vis de leurs supporters, de leurs électeurs et de leurs interlocuteurs étrangers. Mais l’on sait qu’ils ont travaillé ensemble, plus ou moins étroitement, dans le passé. Ils portent une lourde responsabilité dans l’histoire présente de leur pays et sont à même d’en préparer l’avenir s’ils ont un sursaut patriotique. Il existe certainement des passerelles entre eux. La Côte d’Ivoire n’est-elle pas surtout l’otage d’ambitions et d’animosités personnelles ? Certains Ivoiriens, et ils ne sont pas les seuls, se posent cette question. ■ Le Liberia est passé d’une atroce guerre civile à des élections démocratiques saluées dans le monde entier. La Sierra Leone connaît également un processus de stabilisation certaine. En Guinée-Bissau, l’optimisme est de rigueur. En jetant un regard rétrospectif, quels facteurs, selon vous, ont-ils engendré cette évolution heureuse ? Quel a été le rôle des Nations Unies dans ces processus ? L’évolution notée au Liberia et en Sierra Leone est liée au fait que « les héros étaient fatigués ». Sans parler des embargos sur les armes et le gel des avoirs financiers, etc. Mais cette évolution est essentiellement la conséquence de deux facteurs : la cohérence des acteurs extérieurs dans leurs approches politique et militaire – Britanniques, ONU, CEDEAO – pour exercer la plus forte influence possible sur les belligérants. Ces derniers avaient mené ou subi des coups d’État ; ils avaient commis des crimes et risquaient d’être débordés par leurs extrémistes. Le tout n’est pas de déclencher un conflit, encore faut-il savoir qu’une fois le conflit enclenché, des générations spontanées d’extrémistes apparaissent, chacune plus violente que les précédentes et toujours plus anarchiques. En Sierra Leone, le rôle du Royaume Uni a été déterminant et la persistance de l’action des Nations Unies, au crédit de Kofi Annan, a été extrêmement utile. Au Liberia, la présence du Nigeria à travers la CEDEAO et celle des Nations Unies ont été cruciales. ■ En parlant du Liberia, quelle est votre appréciation de cette volonté de juger les anciens chefs d’État africains et de s’y employer, comme c’est le cas pour Charles Taylor, en dehors de l’Afrique ? Soyons clairs : La Haye, ne concerne pas seulement les chefs d’État africains. Pinochet (ancien président du Chili) a été arrêté à Londres et a eu des problèmes avec la justice britannique. Milosevic (ancien Président serbe jugé par le TPI à la Haye) n’est pas africain. Ceci étant, Charles Taylor ayant été arrêté, soit on le jugeait en Afrique de l’Ouest, soit à l’extérieur. L’idéal est de juger les dictateurs dans leur propre pays. Mais, certains ont pensé que Taylor avait encore une certaine influence susceptible de menacer la stabilité du Liberia et de la Sierra Leone et son procès, médiatisé, risquait de fragiliser ces régimes. Il était donc nécessaire de le juger ailleurs. Ceci étant, il n’est pas choquant de voir des dirigeants ayant opprimé leurs populations rendre des comptes. Dans le cas de Charles Taylor, c’est la Présidente du Liberia, élue démocratiquement, qui, semble-t-il, a pris les devants en demandant au Nigeria son extradition. ■ Ne pensez-vous pas que juger certains anciens dirigeants peut engendrer une nouvelle violence ? Bien sûr, ce risque existe ! Et d’autres avec : la fuite en avant ou la politique de la terre brûlée par un dictateur aux abois. Dans tous les conflits, ce dilemme existe: justice ou impunité. Faut-il donner la priorité à l’impunité pour avoir la paix ou à la justice pour éviter une répétition des événements ? Les Sud-Africains ont géré leur passé par le biais d’une commission « Vérité et réconciliation ». Bien avant, les Guatémaltèques et les Chiliens ont traité le problème de la même façon. Si Pinochet n’était pas allé à Londres, peut-être n’aurait-t-il jamais atterri devant la justice britannique. Dans certains cas de crimes odieux, la réponse nationale est plus pertinente, mais encore faut-il que les victimes l’acceptent ■ En commentant l’étude réalisée par votre bureau « Chômage des jeunes et insécurité régionale en Afrique de l’Ouest » dont le lancement est intervenu le 1er décembre 2005, vous aviez eu ces mots : « Tant que les jeunes d’Afrique de l’Ouest continueront de considérer comme illusoire la possibilité de trouver du travail dans leur propre région, ils fuiront ces terres d’infortune. Cette jeunesse est désabusée et se retrouve de plus en plus confrontée à deux choix : la violence ou l’émigration qui, à son tour, représente un risque de sécurité pour les démocraties avancées ». Aujourd’hui, quel est votre sentiment devant ces milliers de jeunes tentant de gagner l’Europe en pirogues ? D’abord, une constatation devant le développement rapide de l’urbanisation, la forte croissance démographique et les faiblesses des politiques gouvernementales : les jeunes, sans espoir de justice ou de travail décent, ont peu de choix. Ils peuvent soit rejoindre des bandes armées, soit émigrer. Quand, dans le même temps, ils voient les élites se comporter comme s’il n’existait pas de besoins dans leur pays, ils tombent dans le banditisme, la guerre civile ou choisissent l’exil en masse. Lorsque la frange la plus active et la plus ambitieuse d’une population a pour seul rêve de quitter son pays, il y a une forte interpellation que les dirigeants doivent mieux évaluer. Aucune femme, aucun homme ne fait le choix volontaire d’émigrer. On est bien chez soi. Personne ne vous demande vos papiers et ne vous confronte à toutes sortes de tracasseries. En général, les gens émigrent par désespoir, parce qu’ils ne voient pas de « futur » chez eux. Les jeunes africains sont-ils condamnés à vivre sans autre ambition que celle d’émigrer ? La question se pose en ces termes. Par ailleurs, les démocraties avancées qui attirent ces jeunes ne sont pas sans savoir qu’il est impératif de soutenir les efforts nationaux des gouvernements d’origine par le truchement d’une coopération plus adaptée et d’une assistance plus vigoureuse dans la lutte contre la corruption dans la gestion des ressources nationales. ■ Devant ce phénomène, pensez-vous que les réponses apportées par des accords bilatéraux prévoyant des transferts d’argent, sont durables ? Je ne sais jamais ce que contiennent ces « promesses d’argent ». S’agit-il de biens matériels, d’équipements, de frais de consultations et d’études.. ? Quoi qu’il en soit, l’aide la plus efficace reste une meilleure gestion des ressources, tant d’origine nationale qu’internationale. ■ La lutte contre la corruption revient toujours dans vos propos. Pourquoi cette insistance ? Comme bon nombre d’Africains, je pense que la lutte contre ce fléau est à la base du combat pour le développement. Fondamentalement, il n’y a pas plus de corruption en Afrique qu’ailleurs. Cependant, le drame de nos pays est que la corruption y est endémique, impunie, voire glorifiée, et son produit exporté. La corruption est un cancer qui mine le service public. Elle constitue la plus grave des violations des droits de l’homme, empêchant l’orphelin d’aller à l’école et la veuve d’avoir droit aux soins de santé. Mais la corruption n’est pas seulement un problème d’éthique. Débridée, elle constitue un frein au développement, une menace sur la stabilité et 1a crédibilité des institutions publiques et privées. ■ Et il y en a qui prétendent que c’est culturel… Donner un mouton ou un boubou au chef de passage est une tradition comparable aux cadeaux d’entreprise, une bouteille de vinou un agenda. Le détournement massif des fonds publics et les commissions sur les investissements étrangers relèvent d’un autre chapitre : la criminalité. C’est l’impunité au vu et au su de tous qui engendre la généralisation de la corruption. Cette impunité encourage des dépenses irresponsables, décourage l’épargne et l’investissement, et annihile l’esprit de compétition. ■ Vous avez été Représentant spécial du Secrétaire général pour le Burundi. Et depuis juillet 2002, vous occupez la même fonction en Afrique de l’Ouest. Au vu de cette expérience, quels sont les facteurs susceptibles de conduire à une guerre civile dans les régions africaines ? L’origine d’un conflit peut avoir plusieurs causes et chaque guerre civile a ses propres caractéristiques. Cela dit, les conflits ont aussi beaucoup de points communs ; c’est le déclic qui change. Essentiellement, et avant tout, l’exclusion est la cause première des conflits. Quand un groupe national est exclu aux plans ethnique, régional ou religieux, quand une armée nationale, monopole de la contrainte, est constituée d’un seul groupe, les conditions d’un conflit se trouvent réunies. Les ingrédients de l’explosion n’attendent plus qu’un déclic. Les dirigeants en place et leurs prédécesseurs, en semant les germes des conflits par le pillage des ressources de l’État et par l’exclusion, portent une lourde responsabilité qu’ils payent souvent par l’exil ou une mort violente : Mengistu, Mobutu, Siad Barre, etc.… ■ Pourquoi la diplomatie préventive qui fait aussi partie de votre mandat échoue-t-elle si souvent en Afrique ? Pensez-vous que des puissances extérieures, africaines ou non, interviennent, effectivement, pour attiser ces conflits ? L'un des obstacles à la mise en oeuvre de la diplomatie préventive n'est ni le manque d’information ou d’alerte précoce ; c’est, le plus souvent, le manque de volonté politique. Les États à même d’avoir une influence sur le cours des choses n’ont pas la volonté politique de s’y investir et les autres manquent de capacités logistiques et financières pour agir. On voit un conflit se préparer comme on voit les nuages annonçant l’orage. On ne bouge pas pour autant, par défaut de volonté politique ou de capacités financières. Concernant les ingérences extérieures, il est souvent prouvé qu’un conflit naît par contagion : cas du Liberia et de la Sierra Leone. Depuis la fin de la guerre froide, les influences extérieures à vocation de provoquer ou d’aggraver un conflit en Afrique s’amenuisent quand elles n’ont pas disparu. ■ Avec la multiplication des foyers de tension en Afrique, vous, les diplomates et les puissances extérieures occidentales, notamment, ne tombez-vous pas dans le découragement ? Il y a de quoi…. Pourquoi l’Afrique en est-elle encore là ? Est-elle toujours dans une phase de transition ? Pendant les années 50 et 60, les conflits se situaient en Asie, ensuite en Amérique du sud. En Europe, les années 90 ont connu des crises dans l’ancienne Yougoslavie. L’Afrique semble prendre le relais. Pourquoi les élites – gouvernement, opposition et société civile – ne parviennent-elles pas à prévenir les conflits par la pratique de la tolérance ? Pourquoi ne pas tirer les conclusions des pratiques désastreuses du « tout ou rien » ? Pourquoi de nombreux pays n’ont-ils ni démocratie ni développement économique contrairement à l’Asie où des États, parfois sans démocratie, ont pu bâtir des économies solides ? Ceci étant, depuis la fin de la guerre froide, il existe tout de même un climat de plus grande liberté à travers le continent. ■ Quel rôle voyez-vous des institutions comme la Banque mondiale tenir dans la stabilité des pays africains en général ? Pensez-vous qu’elles puissent aussi être des instruments de la diplomatie préventive ? Les institutions de Brettons Woods et donc la Banque mondiale ont des pratiques généralement contraignantes. En ce sens, elles rendent un bon service aux pays africains en privilégiant le langage de la vérité. Quand elles demandent à un pays de vivre, toutes proportions gardées, selon ses moyens, – c’est le sens des politiques d’ajustement structurel – elles traitent ses dirigeants en responsables majeurs. Encourager des États à vivre au-dessus de leurs ressources propres n’est pas une preuve d’amitié ou de considération. Je pense que la Banque mondiale doit continuer à dire aux dirigeants et aux élites africaines ce qu’est la réalité de leurs pays. S’ils veulent s’en sortir, tous les pays africains devront se serrer la ceinture, produire plus et vendre davantage ; en d’autres termes productivité et compétitivité sont les maîtres mots. Sans ces deux éléments, les pays se condamnent à vivre la main tendue. Dans cette optique, les institutions de Bretton Woods contribuent à la prévention des conflits quand bien même les politiques initiales recommandées demandent des sacrifices. C’est sans doute le prix à payer pour les laxismes antérieurs. La mode est plutôt de se référer au « Consensus de Washington » et ses méfaits sur les économies africaines. L’Argentine et l’Indonésie ont connu des remèdes de cheval, mais au bout du compte, il y a eu la croissance économique et la maîtrise de l’économie. L’Ouganda et le Ghana étaient tombés très bas dans les années 70, mais ont réussi leur redressement. Le temps est venu d’accorder, en Afrique, une attention particulière à l’économie et à la compétitivité et non pas de s’intéresser exclusivement au politique. ■ Monsieur le Représentant spécial, à votre avis, si l’Afrique ne devait avoir qu’un siège au sein du Conseil de sécurité, à quel pays penseriez-vous en premier pour l’occuper ? Je peux vous donner le nom d’un pays ! Mais le problème ne se pose pas en ces termes. La réforme du Conseil de sécurité, sans doute indispensable, n’a pas été sérieusement considérée par les puissants de ce monde. Les critères d’une réforme du Conseil existent. Premièrement, elle doit être acceptée par les cinq membres permanents du Conseil. Deuxièmement, il faut que celui-ci puisse fonctionner efficacement et, donc, ne pas être trop large. Les pays qui contribuent le plus au financement de l’ONU – Allemagne et Japon, après les « États-Unis – ne sont pas membres permanents du Conseil de sécurité. L’Afrique doit avoir sa place, mais, pour s’imposer, elle doit bâtir une base économique sérieuse comme continue à le faire le Botswana. ■ Vous ne croyez donc pas à la reforme… La réforme est en cours, avec une plus grande association, officieuse et effective, des grands contributeurs financiers - que sont l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud - aux décisions du Conseil. D’autres pays y seront sans doute intégrés dans les années à venir. Mais se battre pour un ou deux sièges permanents au Conseil de sécurité ne semble pas à l’ordre du jour et risque de diviser les efforts africains. Mieux vaut un consensus. ■ Le siège de votre bureau se trouve au Sénégal. Comment jugez-vous la situation dans le sud du pays, en Casamance ? Apparemment personne n’en parle, à part les Sénégalais. Ce conflit est-il en dehors de votre mandat ? On parle de ce conflit en Casamance dans la presse dakaroise et au CICR où notre collègue Fournier vient de perdre son épouse (victime d’une mine anti-personnel). Pour le bien-être du Sénégal, ce conflit, le plus vieux d’Afrique puisqu’il remonte à décembre 1981, doit s’achever. Si, comme on le dit dans le jargon, il s’agit d’un conflit de « faible intensité », c’est tout de même une crise que le Sénégal peut s’épargner. Aux Nations Unies, nous en suivons les développements, le dialogue entre Sénégalais étant permanent. Mais je suppose que les partenaires du Sénégal en font cas dans leurs notes et lors des rencontres avec le gouvernement. ■ M. Kofi Annan arrive au terme de son mandat. Quel a été, selon vous, son plus grand apport à la Communauté internationale ? Chaque Secrétaire général apporte quelque chose de spécifique en fonction de ses préoccupations, de ses convictions intimes ou des circonstances. Dans le cas de Kofi Annan, j’estime qu’il a donné une plus grande visibilité au rôle des organisations de la société civile auprès des Nations Unies. D’autre part, il a associé le grand secteur privé (le Global Compact) aux débats internationaux. Il s’est rapproché davantage de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international pour harmoniser l’action en direction du développement. Sur le plan politique, il a introduit la notion de « protection des populations » contre des autorités oppressives, sans doute l’une des raisons ayant présidé à l’attribution du Prix Nobel de la Paix qui lui a été décerné. ■ Le 10 novembre dernier, vous avez présidé au lancement d’une publication de votre bureau dont le titre est « La vie après le Palais présidentiel ». Est-ce à dire que vous voulez pousser les chefs d’État actuels vers la sortie ? (Sourire) – Si cela ne dépendait que de moi, j’aurais une autre réponse. Le mandat de mon Bureau comporte un volet « bonne gouvernance » dont l’alternance pacifique au pouvoir est un pilier vital. En fin de mandat, un président ne doit pas avoir pour seuls choix la mort, la prison ou l’exil. Au terme de son mandat constitutionnel, il doit bénéficier d’une vie normale, avec une pension généreuse, une amnistie sur le territoire national, un rôle de sage (membre du Conseil constitutionnel, membre à vie du Sénat, etc.). Ces prérogatives permettent de quitter le pouvoir pacifiquement, de ne pas chercher, avec son entourage, à s’éterniser dans la place. S’incruster au pouvoir est la plus sûre manière de finir mal. Limiter le nombre de mandats présidentiels est sage dans les pays sans liste électorale fiable, où les fraudes massives sont de tradition. Il ne revient pas à dire, dans le rapport que mon bureau vient de publier, que les présidents sont « payés » pour quitter le pouvoir. Il leur est rappelé, à eux et surtout à leur entourage, qu’il existe une vie normale après le pouvoir. Cette vie les attend, avec tout le respect dû à un ancien chef d’État. ■ Cela ne signifie-t-il pas l’impunité ? Le problème peut se poser en effet. En garantissant une amnistie, ne donne-t-on pas un chèque en blanc à la mauvaise gestion des affaires publiques, au pillage et même aux tueries ? Ce rapport a été préparé avec, en tête, la génération des «présidents dinosaures», non élus démocratiquement et voulant s’éterniser au pouvoir, y compris à travers la famille et le village. Les mesures préconisées sont destinées à dépasser cette période de transition. La démocratie n’étant pas encore durablement ancrée, il faut convaincre certains présidents, et surtout leurs entourage et courtisans, qu’il existe une vie après le pouvoir. ■ Après « La Diplomatie pyromane » écrit en collaboration avec Stephen Smith, de quoi traitera votre prochain livre ? C’est prématuré. Ma mission n’est pas encore terminée. J’aimerais bien reprendre la plume ou du moins enseigner, le moment venu ! Mon expérience récente en Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire et dans la gestion du conflit autour de la frontière Cameroun-Nigeria (Bakassi) mérite d’être racontée. ■ Si l’on en croit la presse nationale, une majorité de vos compatriotes souhaite votre candidature à la prochaine élection présidentielle en Mauritanie en mars 2007. Seriez-vous candidat à cette élection ? C’est une question très difficile car le fait même d’y répondre peut donner lieu à interprétation. Ma réponse reste : « je ne confirme ni n’infirme ». ■ Mais vous suivez de près la politique intérieure mauritanienne… Oui, je suis le développement économique et socio-politique de mon pays. J’évalue ce qui s’y passe et en ai une connaissance plutôt complète. En pensant au Colonel Ould Vall en Mauritanie, à Amadou Toumani Touré au Mali en 1991, au coup d’État qui a renversé Kumba Yala en Guinée Bissau, on a, parfois, l’impression que la communauté internationale accepte plus facilement certains coups d’État que d’autres… Généralement, les coups d’État – intervention armée dans un processus politique – ne sont pas les bienvenus. Il y a, hélas, des situations où seul le coup d’État permet de sortir d’une crise. C’est exactement ce qui s’est passé en Guinée-Bissau, en septembre 2003. Il n’y a pas de doute que le président Kumba Yala a été élu démocratiquement. Mais, très vite, lui-même est devenu la principale source d’instabilité dans son propre pays et les Guinéens ont approuvé le coup d’État qui s’en est suivi. Par la suite, des élections transparentes ont eu lieu et, aujourd’hui, les choses tournent plus rond. Le problème de l’alternance pacifique du pouvoir est lié aux coups d’État. Pourquoi l’Afrique de l’Ouest a-t-elle connu autant de coups d’État ? Plus d’une quarantaine ayant réussi, sans compter les dizaines de tentatives sans lendemain. Des coups d’État ont lieu, avant tout parce que certains dirigeants ne veulent pas décrocher du pouvoir. Les Africains ont la volonté d’entrer dans une ère nouvelle de tolérance et d’alternance pacifique du pouvoir pour une meilleure gestion de leurs pays. ■ Pour paraphraser le titre de votre étude, y a-t-il une vie après avoir été Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest ? Parfaitement. J’ai été Représentant spécial du Secrétaire général au Burundi ; et après, j’ai eu une vie fort active à Washington dans un forum intergouvernemental, la Coalition globale pour l’Afrique. À l’issue de mon mandat en Afrique de l’Ouest, lequel doit, en principe, se terminer fin 2007, j’espère avoir une vie encore plus active. Je suis d’une génération qui croit au travail ! ■ Y compris jusqu'à la présidence mauritanienne ? (Sourire) Pas de commentaire ! Note: Info source : Echos de la Banque Mondiale via www.cridem.org _______________________________________________ M-net mailing list M-net@mauritanie-net.com http://mauritanie-net.com/mailman/listinfo/m-net_mauritanie-net.com