Ahmedou OULD-ABDALLAH - Représentant spécial du Secrétaire Général
de l'ONU en Afrique de l'ouest  :

« En Afrique, la corruption est endémique, impunie, voire glorifiée,
et son produit exporté »

Ahmedou Ould-Abdallah est un diplomate comme en rencontre rarement.
Lorsqu’il parle en public, il ne mâche pas ses mots et le titre, un
tantinet provocateur, de la dernière étude en date publiée par son
bureau le prouve : « La vie après le Palais présidentiel » ! Bien
loin du traditionnel langage « onusien » !

À 66 ans, ce Représentant spécial du Secrétaire général de
l’ONU en Afrique de l’Ouest regarde le monde et nous en livre sa
vision dans cette interview exclusive accordée à Echos de la Banque
mondiale, magazine du bureau régional de Dakar. Propos recueillis par
Mademba NDIAYE

■ À quoi sert un Représentant spécial du Secrétaire général de
l’ONU dans une région donnée, comme celle de l’Afrique de
l’Ouest ?

C’est une très bonne question. Le Représentant spécial est choisi
par le Secrétaire général de l’ONU et ce choix est approuvé par
le Conseil de sécurité. Ma position actuelle est particulière car
c’est la première fois qu’est nommé un représentant spécial
pour couvrir toute une région. Ce faisant, le Secrétaire général
vise deux objectifs. D’abord un soutien à la CEDEAO, une
organisation sous-régionale qui fonctionne bien et qui, créée sur la
base d’objectifs économiques, a su, par nécessité, gérer des
conflits et des crises.
Ensuite, une présence en Afrique de l’Ouest, une région assez
troublée, notamment en Sierra Leone et au Liberia. Ma mission est
également une mission de bons offices, de prévention des conflits et
de consolidation de la paix dans cette région.

■ Les Nations Unies, ce sont d’abord des États. Vous représentez
le Secrétaire général qui, lui-même, rend compte aux États. Dans
ce contexte, ces États voient-ils d’un bon oeil il un Représentant
spécial qui va discuter avec des opposants, des rebelles, etc. ?

C’est vrai, les Nations Unies sont une organisation
intergouvernementale par excellence, donc constituées d’États
membres qui, à des niveaux divers, accueillent des organisations de la
société civile comme membres consultatifs. Mais une évolution se
fait jour. Cette organisation a, dès le départ, posé la question du
sort des populations par le fameux «Nous, les peuples des Nations
Unies…» figurant dans le préambule de la Charte. Les États sont
aujourd’hui plus matures que dans les années 60 et acceptent
maintenant la diversité politique. Lorsque des dérapages se
produisent, il faut attirer l’attention non seulement des
gouvernements, mais aussi de tous les acteurs locaux sur la situation.
Dans les cas sérieux, se pose le problème de la protection des
populations. La grande question encore en suspens est : la
souveraineté nationale englobe-t-elle le droit d’opprimer
souverainement son peuple ?

■ Cela voudrait-il dire qu’il faudrait autoriser une intervention
étrangère pour défendre une population opprimée par son propre
gouvernement ?

La question se pose depuis quelques années. Le droit d’ingérence a
été ponctuellement évoqué. La souveraineté politique donne-t-elle
le droit d’opprimer ses propres citoyens à huis clos ? Certainement
pas ! (cf. Résolution du Conseil de sécurité No 1674 du 28 avril
2006).

■ Quand vous recevez une personnalité en rébellion contre
l’autorité légitime, n’avez vous pas le sentiment que vous lui
conférez une légitimité compte tenu de ce que vous représentez sur
le plan diplomatique ?

Ce dilemme ne constitue pas un problème nouveau pour les Nations
Unies. Chaque fois que nous rencontrons un chef rebelle ou, pour être
plus précis, une personne luttant avec des armes contre un
gouvernement établi, nous pensons à une possible manipulation. Pour
ma part, je me sens dans la même situation que le journaliste
interviewant ou les humanitaires assistant des rebelles. Cependant, les
Nations Unies sont tenues de faire la part des choses et de
s’interroger sur les motivations d’une rébellion. Une révolte qui
perdure et jouit d’une base populaire interpelle. La faute est-elle
d’un seul côté ? N’y a-t-il pas eu exclusion, mépris et même
répression par un gouvernement trop sûr de lui : autoritaire et
totalitaire ? Cette situation ne touche pas des régimes
démocratiquement élus.

■ Monsieur le Représentant, tous les regards sont, aujourd’hui,
tournés vers la Côte d’Ivoire avec le récent vote d’une nouvelle
résolution du Conseil de sécurité. Comment analysez-vous la
situation ivoirienne ? Pensez-vous qu’il soit possible de sortir de
cette crise avec les principaux acteurs politiques actuels ?

La crise en Côte d’Ivoire n’a que trop duré, tant pour les
Ivoiriens que pour les peuples de la région. De plus, sa prolongation
explique en grande partie l’accroissement très fort des migrations
illégales vers l’Europe. Il est clair que le dynamisme de
l’économie ivoirienne attirait des jeunes de la région vers ce
pays. Il n’en demeure pas moins que ni les Nations Unies ni l’Union
africaine ne peuvent imposer la paix à ceux qui n’en veulent pas. La
prolongation de cette crise pose un problème de crédibilité tant aux
élites ivoiriennes qu’à tous les acteurs extérieurs concernés. Si
le processus (Résolution 1721) mis en place pour gérer le conflit est
torpillé par les Ivoiriens, il nous faut agir autrement pour
réaffirmer cette crédibilité internationale menacée.

■ Quand vous dites « Nous », de qui parlez-vous ?

Certainement pas de moi, mais des Nations Unies, de la CEDEAO, de tous
ces acteurs extérieurs qui s’intéressent à la résorption de la
crise ivoirienne. Ces acteurs ne peuvent continuer à voter résolution
après résolution, adopter déclaration après déclaration sans en
suivre avec sérieux la mise en oeuvre. Il faut imaginer des solutions
capables d’aider les Ivoiriens à retrouver la paix. La dernière
résolution du Conseil de sécurité (Résolution 1721 du 1er novembre
2006) mérite le soutien à la fois des membres du Conseil qui l’ont
adoptée à l’unanimité, et des États de la région et des leaders
ivoiriens qui aspirent à la paix. Sans mise en oeuvre de la
Résolution 1721, les recours crédibles s’épuisent et les
extrémismes reprennent du poil de la bête.

■ Quand vous rencontrez les principaux dirigeants politiques de ce
pays, Laurent Gbagbo, Konan Bédié, Alassane Ouattara et Guillaume
Soro, avez-vous le sentiment qu’ils sont prêts à se faire confiance
réciproquement ?

Difficile de répondre à cette question. Ces quatre dirigeants, que je
connais fort bien, se connaissent parfaitement les uns les autres. Ils
emploient volontiers un langage de circonstance vis-à-vis de leurs
supporters, de leurs électeurs et de leurs interlocuteurs étrangers.
Mais l’on sait qu’ils ont travaillé ensemble, plus ou moins
étroitement, dans le passé. Ils portent une lourde responsabilité
dans l’histoire présente de leur pays et sont à même d’en
préparer l’avenir s’ils ont un sursaut patriotique. Il existe
certainement des passerelles entre eux. La Côte d’Ivoire
n’est-elle pas surtout l’otage d’ambitions et d’animosités
personnelles ? Certains Ivoiriens, et ils ne sont pas les seuls, se
posent cette question.

■ Le Liberia est passé d’une atroce guerre civile à des
élections démocratiques saluées dans le monde entier. La Sierra
Leone connaît également un processus de stabilisation certaine. En
Guinée-Bissau, l’optimisme est de rigueur. En jetant un regard
rétrospectif, quels facteurs, selon vous, ont-ils engendré cette
évolution heureuse ? Quel a été le rôle des Nations Unies dans ces
processus ?

L’évolution notée au Liberia et en Sierra Leone est liée au fait
que « les héros étaient fatigués ». Sans parler des embargos sur
les armes et le gel des avoirs financiers, etc. Mais cette évolution
est essentiellement la conséquence de deux facteurs : la cohérence
des acteurs extérieurs dans leurs approches politique et militaire –
Britanniques, ONU, CEDEAO – pour exercer la plus forte influence
possible sur les belligérants. Ces derniers avaient mené ou subi des
coups d’État ; ils avaient commis des crimes et risquaient d’être
débordés par leurs extrémistes. Le tout n’est pas de déclencher
un conflit, encore faut-il savoir qu’une fois le conflit enclenché,
des générations spontanées d’extrémistes apparaissent, chacune
plus violente que les précédentes et toujours plus anarchiques. En
Sierra Leone, le rôle du Royaume Uni a été déterminant et la
persistance de l’action des Nations Unies, au crédit de Kofi Annan,
a été extrêmement utile. Au Liberia, la présence du Nigeria à
travers la CEDEAO et celle des Nations Unies ont été cruciales.

■ En parlant du Liberia, quelle est votre appréciation de cette
volonté de juger les anciens chefs d’État africains et de s’y
employer, comme c’est le cas pour Charles Taylor, en dehors de
l’Afrique ?

Soyons clairs : La Haye, ne concerne pas seulement les chefs d’État
africains. Pinochet (ancien président du Chili) a été arrêté à
Londres et a eu des problèmes avec la justice britannique. Milosevic
(ancien Président serbe jugé par le TPI à la Haye) n’est pas
africain. Ceci étant, Charles Taylor ayant été arrêté, soit on le
jugeait en Afrique de l’Ouest, soit à l’extérieur. L’idéal est
de juger les dictateurs dans leur propre pays. Mais, certains ont
pensé que Taylor avait encore une certaine influence susceptible de
menacer la stabilité du Liberia et de la Sierra Leone et son procès,
médiatisé, risquait de fragiliser ces régimes. Il était donc
nécessaire de le juger ailleurs. Ceci étant, il n’est pas choquant
de voir des dirigeants ayant opprimé leurs populations rendre des
comptes. Dans le cas de Charles Taylor, c’est la Présidente du
Liberia, élue démocratiquement, qui, semble-t-il, a pris les devants
en demandant au Nigeria son extradition.

■ Ne pensez-vous pas que juger certains anciens dirigeants peut
engendrer une nouvelle violence ?

Bien sûr, ce risque existe ! Et d’autres avec : la fuite en avant ou
la politique de la terre brûlée par un dictateur aux abois. Dans tous
les conflits, ce dilemme existe: justice ou impunité. Faut-il donner
la priorité à l’impunité pour avoir la paix ou à la justice pour
éviter une répétition des événements ? Les Sud-Africains ont
géré leur passé par le biais d’une commission « Vérité et
réconciliation ». Bien avant, les Guatémaltèques et les Chiliens
ont traité le problème de la même façon. Si Pinochet n’était pas
allé à Londres, peut-être n’aurait-t-il jamais atterri devant la
justice britannique. Dans certains cas de crimes odieux, la réponse
nationale est plus pertinente, mais encore faut-il que les victimes
l’acceptent

■ En commentant l’étude réalisée par votre bureau « Chômage
des jeunes et insécurité régionale en Afrique de l’Ouest » dont
le lancement est intervenu le 1er décembre 2005, vous aviez eu ces
mots : « Tant que les jeunes d’Afrique de l’Ouest continueront de
considérer comme illusoire la possibilité de trouver du travail dans
leur propre région, ils fuiront ces terres d’infortune. Cette
jeunesse est désabusée et se retrouve de plus en plus confrontée à
deux choix : la violence ou l’émigration qui, à son tour,
représente un risque de sécurité pour les démocraties avancées ».
Aujourd’hui, quel est votre sentiment devant ces milliers de jeunes
tentant de gagner l’Europe en pirogues ?

D’abord, une constatation devant le développement rapide de
l’urbanisation, la forte croissance démographique et les faiblesses
des politiques gouvernementales : les jeunes, sans espoir de justice ou
de travail décent, ont peu de choix. Ils peuvent soit rejoindre des
bandes armées, soit émigrer. Quand, dans le même temps, ils voient
les élites se comporter comme s’il n’existait pas de besoins dans
leur pays, ils tombent dans le banditisme, la guerre civile ou
choisissent l’exil en masse. Lorsque la frange la plus active et la
plus ambitieuse d’une population a pour seul rêve de quitter son
pays, il y a une forte interpellation que les dirigeants doivent mieux
évaluer. Aucune femme, aucun homme ne fait le choix volontaire
d’émigrer. On est bien chez soi. Personne ne vous demande vos
papiers et ne vous confronte à toutes sortes de tracasseries. En
général, les gens émigrent par désespoir, parce qu’ils ne voient
pas de « futur » chez eux. Les jeunes africains sont-ils condamnés
à vivre sans autre ambition que celle d’émigrer ? La question se
pose en ces termes. Par ailleurs, les démocraties avancées qui
attirent ces jeunes ne sont pas sans savoir qu’il est impératif de
soutenir les efforts nationaux des gouvernements d’origine par le
truchement d’une coopération plus adaptée et d’une assistance
plus vigoureuse dans la lutte contre la corruption dans la gestion des
ressources nationales.

■ Devant ce phénomène, pensez-vous que les réponses apportées par
des accords bilatéraux prévoyant des transferts d’argent, sont
durables ?
Je ne sais jamais ce que contiennent ces « promesses d’argent ».
S’agit-il de biens matériels, d’équipements, de frais de
consultations et d’études.. ? Quoi qu’il en soit, l’aide la plus
efficace reste une meilleure gestion des ressources, tant d’origine
nationale qu’internationale.

■ La lutte contre la corruption revient toujours dans vos propos.
Pourquoi cette insistance ?

Comme bon nombre d’Africains, je pense que la lutte contre ce fléau
est à la base du combat pour le développement. Fondamentalement, il
n’y a pas plus de corruption en Afrique qu’ailleurs. Cependant, le
drame de nos pays est que la corruption y est endémique, impunie,
voire glorifiée, et son produit exporté. La corruption est un cancer
qui mine le service public. Elle constitue la plus grave des violations
des droits de l’homme, empêchant l’orphelin d’aller à
l’école et la veuve d’avoir droit aux soins de santé. Mais la
corruption n’est pas seulement un problème d’éthique. Débridée,
elle constitue un frein au développement, une menace sur la stabilité
et 1a crédibilité des institutions publiques et privées.

■ Et il y en a qui prétendent que c’est culturel…

Donner un mouton ou un boubou au chef de passage est une tradition
comparable aux cadeaux d’entreprise, une bouteille de vinou un
agenda. Le détournement massif des fonds publics et les commissions
sur les investissements étrangers relèvent d’un autre chapitre : la
criminalité. C’est l’impunité au vu et au su de tous qui engendre
la généralisation de la corruption. Cette impunité encourage des
dépenses irresponsables, décourage l’épargne et
l’investissement, et annihile l’esprit de compétition.

■ Vous avez été Représentant spécial du Secrétaire général
pour le Burundi. Et depuis juillet 2002, vous occupez la même fonction
en Afrique de l’Ouest. Au vu de cette expérience, quels sont les
facteurs susceptibles de conduire à une guerre civile dans les
régions africaines ?

L’origine d’un conflit peut avoir plusieurs causes et chaque guerre
civile a ses propres caractéristiques. Cela dit, les conflits ont
aussi beaucoup de points communs ; c’est le déclic qui change.
Essentiellement, et avant tout, l’exclusion est la cause première
des conflits. Quand un groupe national est exclu aux plans ethnique,
régional ou religieux, quand une armée nationale, monopole de la
contrainte, est constituée d’un seul groupe, les conditions d’un
conflit se trouvent réunies. Les ingrédients de l’explosion
n’attendent plus qu’un déclic. Les dirigeants en place et leurs
prédécesseurs, en semant les germes des conflits par le pillage des
ressources de l’État et par l’exclusion, portent une lourde
responsabilité qu’ils payent souvent par l’exil ou une mort
violente : Mengistu, Mobutu, Siad Barre, etc.…

■ Pourquoi la diplomatie préventive qui fait aussi partie de votre
mandat échoue-t-elle si souvent en Afrique ? Pensez-vous que des
puissances extérieures, africaines ou non, interviennent,
effectivement, pour attiser ces conflits ?

L'un des obstacles à la mise en oeuvre de la diplomatie préventive
n'est ni le manque d’information ou d’alerte précoce ; c’est, le
plus souvent, le manque de volonté politique. Les États à même
d’avoir une influence sur le cours des choses n’ont pas la volonté
politique de s’y investir et les autres manquent de capacités
logistiques et financières pour agir. On voit un conflit se préparer
comme on voit les nuages annonçant l’orage. On ne bouge pas pour
autant, par défaut de volonté politique ou de capacités
financières. Concernant les ingérences extérieures, il est souvent
prouvé qu’un conflit naît par contagion : cas du Liberia et de la
Sierra Leone. Depuis la fin de la guerre froide, les influences
extérieures à vocation de provoquer ou d’aggraver un conflit en
Afrique s’amenuisent quand elles n’ont pas disparu.

■ Avec la multiplication des foyers de tension en Afrique, vous, les
diplomates et les puissances extérieures occidentales, notamment, ne
tombez-vous pas dans le découragement ?

Il y a de quoi…. Pourquoi l’Afrique en est-elle encore là ?
Est-elle toujours dans une phase de transition ? Pendant les années 50
et 60, les conflits se situaient en Asie, ensuite en Amérique du sud.
En Europe, les années 90 ont connu des crises dans l’ancienne
Yougoslavie. L’Afrique semble prendre le relais. Pourquoi les élites
– gouvernement, opposition et société civile – ne
parviennent-elles pas à prévenir les conflits par la pratique de la
tolérance ? Pourquoi ne pas tirer les conclusions des pratiques
désastreuses du « tout ou rien » ? Pourquoi de nombreux pays
n’ont-ils ni démocratie ni développement économique contrairement
à l’Asie où des États, parfois sans démocratie, ont pu bâtir des
économies solides ? Ceci étant, depuis la fin de la guerre froide, il
existe tout de même un climat de plus grande liberté à travers le
continent.

■ Quel rôle voyez-vous des institutions comme la Banque mondiale
tenir dans la stabilité des pays africains en général ? Pensez-vous
qu’elles puissent aussi être des instruments de la diplomatie
préventive ?

Les institutions de Brettons Woods et donc la Banque mondiale ont des
pratiques généralement contraignantes. En ce sens, elles rendent un
bon service aux pays africains en privilégiant le langage de la
vérité. Quand elles demandent à un pays de vivre, toutes proportions
gardées, selon ses moyens, – c’est le sens des politiques
d’ajustement structurel – elles traitent ses dirigeants en
responsables majeurs. Encourager des États à vivre au-dessus de leurs
ressources propres n’est pas une preuve d’amitié ou de
considération. Je pense que la Banque mondiale doit continuer à dire
aux dirigeants et aux élites africaines ce qu’est la réalité de
leurs pays. S’ils veulent s’en sortir, tous les pays africains
devront se serrer la ceinture, produire plus et vendre davantage ; en
d’autres termes productivité et compétitivité sont les maîtres
mots. Sans ces deux éléments, les pays se condamnent à vivre la main
tendue. Dans cette optique, les institutions de Bretton Woods
contribuent à la prévention des conflits quand bien même les
politiques initiales recommandées demandent des sacrifices. C’est
sans doute le prix à payer pour les laxismes antérieurs. La mode est
plutôt de se référer au « Consensus de Washington » et ses
méfaits sur les économies africaines. L’Argentine et l’Indonésie
ont connu des remèdes de cheval, mais au bout du compte, il y a eu la
croissance économique et la maîtrise de l’économie. L’Ouganda et
le Ghana étaient tombés très bas dans les années 70, mais ont
réussi leur redressement. Le temps est venu d’accorder, en Afrique,
une attention particulière à l’économie et à la compétitivité
et non pas de s’intéresser exclusivement au politique.

■ Monsieur le Représentant spécial, à votre avis, si l’Afrique
ne devait avoir qu’un siège au sein du Conseil de sécurité, à
quel pays penseriez-vous en premier pour l’occuper ?

Je peux vous donner le nom d’un pays ! Mais le problème ne se pose
pas en ces termes. La réforme du Conseil de sécurité, sans doute
indispensable, n’a pas été sérieusement considérée par les
puissants de ce monde. Les critères d’une réforme du Conseil
existent. Premièrement, elle doit être acceptée par les cinq membres
permanents du Conseil. Deuxièmement, il faut que celui-ci puisse
fonctionner efficacement et, donc, ne pas être trop large. Les pays
qui contribuent le plus au financement de l’ONU – Allemagne et
Japon, après les « États-Unis – ne sont pas membres permanents du
Conseil de sécurité. L’Afrique doit avoir sa place, mais, pour
s’imposer, elle doit bâtir une base économique sérieuse comme
continue à le faire le Botswana.

■ Vous ne croyez donc pas à la reforme…

La réforme est en cours, avec une plus grande association, officieuse
et effective, des grands contributeurs financiers - que sont
l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud - aux décisions du
Conseil. D’autres pays y seront sans doute intégrés dans les
années à venir. Mais se battre pour un ou deux sièges permanents au
Conseil de sécurité ne semble pas à l’ordre du jour et risque de
diviser les efforts africains. Mieux vaut un consensus.

■ Le siège de votre bureau se trouve au Sénégal. Comment
jugez-vous la situation dans le sud du pays, en Casamance ? Apparemment
personne n’en parle, à part les Sénégalais. Ce conflit est-il en
dehors de votre mandat ?

On parle de ce conflit en Casamance dans la presse dakaroise et au CICR
où notre collègue Fournier vient de perdre son épouse (victime
d’une mine anti-personnel). Pour le bien-être du Sénégal, ce
conflit, le plus vieux d’Afrique puisqu’il remonte à décembre
1981, doit s’achever. Si, comme on le dit dans le jargon, il s’agit
d’un conflit de « faible intensité », c’est tout de même une
crise que le Sénégal peut s’épargner. Aux Nations Unies, nous en
suivons les développements, le dialogue entre Sénégalais étant
permanent. Mais je suppose que les partenaires du Sénégal en font cas
dans leurs notes et lors des rencontres avec le gouvernement.

■ M. Kofi Annan arrive au terme de son mandat. Quel a été, selon
vous, son plus grand apport à la Communauté internationale ?

Chaque Secrétaire général apporte quelque chose de spécifique en
fonction de ses préoccupations, de ses convictions intimes ou des
circonstances. Dans le cas de Kofi Annan, j’estime qu’il a donné
une plus grande visibilité au rôle des organisations de la société
civile auprès des Nations Unies. D’autre part, il a associé le
grand secteur privé (le Global Compact) aux débats internationaux. Il
s’est rapproché davantage de la Banque mondiale et du Fonds
monétaire international pour harmoniser l’action en direction du
développement. Sur le plan politique, il a introduit la notion de «
protection des populations » contre des autorités oppressives, sans
doute l’une des raisons ayant présidé à l’attribution du Prix
Nobel de la Paix qui lui a été décerné.

■ Le 10 novembre dernier, vous avez présidé au lancement d’une
publication de votre bureau dont le titre est « La vie après le
Palais présidentiel ». Est-ce à dire que vous voulez pousser les
chefs d’État actuels vers la sortie ?

(Sourire) – Si cela ne dépendait que de moi, j’aurais une autre
réponse. Le mandat de mon Bureau comporte un volet « bonne
gouvernance » dont l’alternance pacifique au pouvoir est un pilier
vital. En fin de mandat, un président ne doit pas avoir pour seuls
choix la mort, la prison ou l’exil. Au terme de son mandat
constitutionnel, il doit bénéficier d’une vie normale, avec une
pension généreuse, une amnistie sur le territoire national, un rôle
de sage (membre du Conseil constitutionnel, membre à vie du Sénat,
etc.). Ces prérogatives permettent de quitter le pouvoir
pacifiquement, de ne pas chercher, avec son entourage, à
s’éterniser dans la place. S’incruster au pouvoir est la plus
sûre manière de finir mal. Limiter le nombre de mandats
présidentiels est sage dans les pays sans liste électorale fiable,
où les fraudes massives sont de tradition. Il ne revient pas à dire,
dans le rapport que mon bureau vient de publier, que les présidents
sont « payés » pour quitter le pouvoir. Il leur est rappelé, à eux
et surtout à leur entourage, qu’il existe une vie normale après le
pouvoir. Cette vie les attend, avec tout le respect dû à un ancien
chef d’État.

■ Cela ne signifie-t-il pas l’impunité ?

Le problème peut se poser en effet. En garantissant une amnistie, ne
donne-t-on pas un chèque en blanc à la mauvaise gestion des affaires
publiques, au pillage et même aux tueries ? Ce rapport a été
préparé avec, en tête, la génération des «présidents
dinosaures», non élus démocratiquement et voulant s’éterniser au
pouvoir, y compris à travers la famille et le village. Les mesures
préconisées sont destinées à dépasser cette période de
transition. La démocratie n’étant pas encore durablement ancrée,
il faut convaincre certains présidents, et surtout leurs entourage et
courtisans, qu’il existe une vie après le pouvoir.

■ Après « La Diplomatie pyromane » écrit en collaboration avec
Stephen Smith, de quoi traitera votre prochain livre ?

C’est prématuré. Ma mission n’est pas encore terminée.
J’aimerais bien reprendre la plume ou du moins enseigner, le moment
venu ! Mon expérience récente en Afrique de l’Ouest, en Côte
d’Ivoire et dans la gestion du conflit autour de la frontière
Cameroun-Nigeria (Bakassi) mérite d’être racontée.

■ Si l’on en croit la presse nationale, une majorité de vos
compatriotes souhaite votre candidature à la prochaine élection
présidentielle en Mauritanie en mars 2007. Seriez-vous candidat à
cette élection ?

C’est une question très difficile car le fait même d’y répondre
peut donner lieu à interprétation. Ma réponse reste : « je ne
confirme ni n’infirme ».

■ Mais vous suivez de près la politique intérieure mauritanienne…

Oui, je suis le développement économique et socio-politique de mon
pays. J’évalue ce qui s’y passe et en ai une connaissance plutôt
complète.

En pensant au Colonel Ould Vall en Mauritanie, à Amadou Toumani Touré
au Mali en 1991, au coup d’État qui a renversé Kumba Yala en
Guinée Bissau, on a, parfois, l’impression que la communauté
internationale accepte plus facilement certains coups d’État que
d’autres…

Généralement, les coups d’État – intervention armée dans un
processus politique – ne sont pas les bienvenus. Il y a, hélas, des
situations où seul le coup d’État permet de sortir d’une crise.
C’est exactement ce qui s’est passé en Guinée-Bissau, en
septembre 2003. Il n’y a pas de doute que le président Kumba Yala a
été élu démocratiquement. Mais, très vite, lui-même est devenu la
principale source d’instabilité dans son propre pays et les
Guinéens ont approuvé le coup d’État qui s’en est suivi. Par la
suite, des élections transparentes ont eu lieu et, aujourd’hui, les
choses tournent plus rond.

Le problème de l’alternance pacifique du pouvoir est lié aux coups
d’État. Pourquoi l’Afrique de l’Ouest a-t-elle connu autant de
coups d’État ? Plus d’une quarantaine ayant réussi, sans compter
les dizaines de tentatives sans lendemain. Des coups d’État ont
lieu, avant tout parce que certains dirigeants ne veulent pas
décrocher du pouvoir. Les Africains ont la volonté d’entrer dans
une ère nouvelle de tolérance et d’alternance pacifique du pouvoir
pour une meilleure gestion de leurs pays.

■ Pour paraphraser le titre de votre étude, y a-t-il une vie après
avoir été Représentant spécial du Secrétaire général pour
l’Afrique de l’Ouest ?

Parfaitement. J’ai été Représentant spécial du Secrétaire
général au Burundi ; et après, j’ai eu une vie fort active à
Washington dans un forum intergouvernemental, la Coalition globale pour
l’Afrique. À l’issue de mon mandat en Afrique de l’Ouest, lequel
doit, en principe, se terminer fin 2007, j’espère avoir une vie
encore plus active. Je suis d’une génération qui croit au travail !

■ Y compris jusqu'à la présidence mauritanienne ?

(Sourire) Pas de commentaire !











Note: Info source : Echos de la Banque Mondiale via www.cridem.org


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