[FRnOG] [TECH] À propos de l'empreinte environnementale des réseaux
Bonjour à tous, Vous avez été surpris de la teneur et de la violence de la question que j'ai posé au représentant de l'ARCEP à l'occasion du FRnOG 31. C'est vrai qu'on a encore peu discuté du sujet ici bien que j'y travaille depuis quelques années. Il est temps de partager ces réflexions et d'ouvrir une discussion plus large, pour essayer de donner plus de sens à nos démarches. * Un peu de contexte * Je bosse dans les réseaux depuis 15 ans parce que j'ai envisagé notre secteur comme bénéfique à la société car il favorise l'échange des savoirs, le foisonnement des idées, et donc d'après Murphy, qu'il augmente nos chances de voir de bonnes choses émerger (idées, talents…). Quinze ans plus tard, on a les Fake News, les atteintes aux "démocraties", l'attaque industrialisée de la vie privée des utilisateurs, la dominance de services centralisés, et une facture environnementale colossale. N'étant pas sociologue je ne m'étendrai pas sur les aspects politiques, bien que des pistes de progrès aient déjà été discutées. Je me focaliserai donc sur des aspects économiques, industriels et énergétiques. * Disclaimer * Le travail de modélisation précis de ce dont je vais parlé m'a déjà pris quelques années, sur temps libre, et est limité par l'accessibilité des données. Du coup je suis contraint à travailler en ordre de grandeurs, affinés au fil du temps et de la publication de données plus ou moins utilisables pour affiner les modèles. * Les unités en jeu * En très simplifié, on va parler de valeur ajoutée (€/$) par masse d'énergie (J, kWh, GTEP) et par empreinte en gaz à effet de serre (TeqCO2). Pour le poste "ressource humaine", comme j'exclue l'aspect sociologique, je raisonne en "temps équivalent esclave" pour un corps humain capable de produire 100W de travail utilisable, ce à quoi on ajoute les externalités comme ses transports, son chauffage, son alimentation, et celles de toutes les fonctions supports (management, gouvernement & SP, consommation), soit une moyenne nationale à 9,6TeqCO2 par an et par tête en France, pour un salaire médian de 20 150€ (INSEE, 2017) et une enveloppe énergétique de 6,94MwH en électricité (WB, 2014) et 3,69TeP (GVT, 2016). Important à noter : les stats de consommation sont par habitant et excluent toute structure économique, d'où la nécessiter de ventiler avec différentes clefs de répartition. * Les postes de coûts des telcos * * Construction du génie civil * L'industrie des travaux publics est la source de donnée la plus inaccessible. Un de ces industriels a cependant publié une évaluation du coût de fabrication des matériaux utilisés dans le secteur routier, à entre 40 et 130 KeqCO2/tonne (COLAS, 2003). En y ajoutant l'excavation, le transport des matériaux et la main d’œuvre, un km de botte de fourreaux coûte environ 65k€ à construire (hors étude et entretient) et libère 200 TepCO2. On a à peu près 350 000 km de fourreaux en France (Sénat, 2013) soit 120 000km de bottes, pour une valeur totale de 8Md€ et 24GTeqCO2 (8% des émissions annuelles). Ce chiffre est à prendre avec des pincettes : historiquement les techniques de construction étaient plus polluantes, et le coût total estimé du réseau (fourreaux + cuivre + bâtiments) est plutôt entre 50 et 60Md€. Un tel réseau s’amortit sur environ 50 ans, considérant les coûts de maintenance et les travaux de voirie et accessoires. Le potentiel d'économie en TeP et TeqCO2 est de l'ordre de 50% si on en crois le CEREMA, l'ORQUASI et l'efficacité organisationnelle (mutualisation du GC) dans certains pays d'Europe. * Fabrication et pose des câbles * Un câble optique c'est une gaine et des renforts en plastiques et composites fabriqués à base de dérivés pétroliers, et de la silice chimiquement dopée chauffée à plus de 1000°C. Je n'ai pas de données tangibles venant des câbliers mais les équivalents massiques indiquent un ordre de grandeur de l'ordre de 5 TeqCO2 par million de km de fibre nue, de l'extraction à l'assemblage (MDPI, 2017). Tout mis bout à bout, avec gaine, transport et pose, sans inclure la combustion sauvage des "recycleurs de câbles" surtout valable pour le cuivre, ça donne un ordre de grandeur de 40kgeqCO2 par mètre de câble posé. Avec environ 1Mdm de câble à poser pour couvrir la France, ça fait 40GteqCO2. Mais j'invite les câbliers et gros déployeurs à confronter des chiffres, j'ai vraiment trop d'approximation là. * Équipements électroniques * Autre morceau très compliqué, vu la difficulté d'imputer les coûts de R&D rapportés aux volumes des équipementiers et la jeunesse des filières de revalorisation des déchets électroniques. C'est plus simple de s'en tenir à la consommation, mais dans l'hypothèse où on arrêterait de déployer des moulins à vent et des panneaux faits au charbon, on a une telle qualité d'approvisionnement électrique en France que c'est un poste de coût environnemental relativement faible. Grosse maille, on a 3 à
Re: [FRnOG] [TECH] À propos de l'empreinte environnementale des réseaux
Salut Jérôme, Globalement en phase, comme toi je trouve important de donner du sens à tout ca Quelques réactions ci-dessous Le dim. 7 oct. 2018 à 13:29, Jérôme Nicolle a écrit : > Quinze ans plus tard, on a les Fake News, les atteintes aux > "démocraties", l'attaque industrialisée de la vie privée des > utilisateurs, la dominance de services centralisés, et une facture > environnementale colossale. > Qui restent autant d'artefacts faisant du partie du paysage. On a aussi de formidables outils pour mieux collaborer, rapprocher les gens, accélérer la recherche scientifique et sa diffusion. Ce qu'on est justement entrain de faire tient :) > L'industrie des travaux publics est la source de donnée la plus > inaccessible. Un de ces industriels a cependant publié une évaluation du > coût de fabrication des matériaux utilisés dans le secteur routier, à > entre 40 et 130 KeqCO2/tonne (COLAS, 2003). En y ajoutant l'excavation, > le transport des matériaux et la main d’œuvre, un km de botte de > fourreaux coûte environ 65k€ à construire (hors étude et entretient) et > libère 200 TepCO2. > Qu’inclus-tu dans "botte de fourreaux"? Du PE, du PVC, enrobé ou non? Sur chaussée recouverte, chemin en terre ? Des devis que j'ai pu lire, on va être entre 30k€ et 150k€ du km, hors études et entretient. On ne challenge pas assez ces couts au quotidien et comme tu le pointes tout ça se décide dans une opacité des plus complètes, et surtout sans retour d'expérience des précédents. > On a à peu près 350 000 km de fourreaux en France (Sénat, 2013) soit 120 > 000km de bottes, pour une valeur totale de 8Md€ et 24GTeqCO2 (8% des > émissions annuelles). Ce chiffre est à prendre avec des pincettes : > historiquement les techniques de construction étaient plus polluantes, > et le coût total estimé du réseau (fourreaux + cuivre + bâtiments) est > plutôt entre 50 et 60Md€. > Quels ont été les réseaux auscultés pour établir ce chiffre de 350 000 km? L'alinéa 22 de l'article L32 du CPCE défini d'ailleurs un large cadre pour les infrastructure d'accueil. Il faut inclure les caniveaux du réseau ferré, y compris celui qui n'est plus en exploitation, les conduites d'eau abandonnées (puisque non acheminant de l'eau destinée à la consommation d'après l'article ci-dessus), etc Qualitativement je pense que c'est bien plus que 350 000km. > Le dépassement des pics hydrocarbures et le réchauffement climatique ont > énormément d'effets directs et indirects sur nos activités. > Ne serait-ce parce qu'ils menacent directement les infrastructures en place. Bien penser qu'en ce moment on est en temps de paix et avec relativement peu de crises majeures à gérer. Les SI actuels ne sont pas pensés pour la gestion de crise. > Sur l'infrastructure, l'augmentation des occurrences de phénomènes météo > extrêmes va réduire significativement la durée de vie des > infrastructures de boucle locale. Qu'on soit bien clairs : l'immersion > d'un PMZ ou d'un BPE mal fermé, c'est 100% de pannes et un remplacement > complet obligatoire. > Il n'y a pas que les boucles locales, le long haul est amplifié < 100km. Peut-on vérifier que la redondance électrique est bonne sur ces sites aujourd'hui? (Spoiler : non). Et sur les dispositifs étanches, tout est plutôt bien prévu au départ. C'est à l'exploitation que ça pêche, puisque si l'intervenant ne prend pas le temps de restaurer l'étanchéité une fois son intervention terminée, c'est comme si rien n'était fait. Voir ici par ex: https://twitter.com/DorianGaliana/status/1035192262760779776 > La somme des coûts énergétiques et environnementaux des infrastructures > rendent évident que le modèle européen de concurrence par les > infrastructures est d'une connerie sans nom. On gagnerait à être un des > premiers pays à le remettre en cause pour les bonnes raisons. > +1 et travaux = fourreaux François @InfosReseaux --- Liste de diffusion du FRnOG http://www.frnog.org/
Re: [FRnOG] [TECH] À propos de l'empreinte environnementale des réseaux
François, Le 07/10/2018 à 15:17, François Lacombe a écrit : >> Quinze ans plus tard, on a les Fake News, les atteintes aux >> "démocraties", l'attaque industrialisée de la vie privée> Qui restent autant >> d'artefacts faisant du partie du paysage. > On a aussi de formidables outils pour mieux collaborer, rapprocher les > gens, accélérer la recherche scientifique et sa diffusion. > Ce qu'on est justement entrain de faire tient :) Je suis d'accord sur les impacts positifs réels, mais la couverture médiatique des fruits pourris par rapport à celle des meilleurs crus est très disproportionnée. > Qu’inclus-tu dans "botte de fourreaux"? Du PE, du PVC, enrobé ou non? > Sur chaussée recouverte, chemin en terre ? Creusement de tranchée traditionnelle à 80cm sous enrobé simple, 3xLSTø45, L2T tous les 80m. Autant dire _très_ approximatif, et plutôt baissier, mais je ne peux pas sampler que sur du GC d’agglomération non plus. Dès que tu as du béton entre le remblai et l'enrobé, du pavage ou des bottes plus importantes, les coûts explosent, mais on a plus de raison de construire de telles capacités vu la densité des câbles fibre. > Des devis que j'ai pu lire, on va être entre 30k€ et 150k€ du km, hors > études et entretient. > On ne challenge pas assez ces couts au quotidien et comme tu le pointes > tout ça se décide dans une opacité des plus complètes, et surtout sans > retour d'expérience des précédents. J'ai déjà vu des devis à 240€/m, hors zones ABF. Donc le spread est énorme, et hors heuristique tenant compte des données cadastrales et architecturales, tu peux pas prévoir sans piquetage. Et l'empreinte carbone du chantier dépend vraiment des moyens de l'intervenant. Pour ce qui est de l’efficacité carbone des travaux, c'est la question de la gestion des plannings entre concessionnaires du domaine public, ce que les concédants ne sont pas contraints à gérer actuellement en France, et je pense que c'est responsable d'une bonne moitié des émissions de GES liées aux infras. >> On a à peu près 350 000 km de fourreaux en France (Sénat, 2013)…> Quels ont >> été les réseaux auscultés pour établir ce chiffre de 350 000 km? Le Sénat n'a pas publié sa méthodologie, mais ça correspond au linéaire "comptabilisé mais non systématiquement déclaré" par Orange au titre du transfert en 96. > L'alinéa 22 de l'article L32 du CPCE défini d'ailleurs un large cadre pour > les infrastructure d'accueil. > Il faut inclure les caniveaux du réseau ferré, y compris celui qui n'est > plus en exploitation, les conduites d'eau abandonnées (puisque non > acheminant de l'eau destinée à la consommation d'après l'article > ci-dessus), etc > Qualitativement je pense que c'est bien plus que 350 000km. Oui, mais le long-haul et la boucle locale sont deux animaux bien différents dans ce contexte : il y a de la recherche d'optimalité des CAPEX sur le long-haul (quoi qu'on en fait plus, ou alors en externalité structurelle). >> Le dépassement des pics hydrocarbures et le réchauffement climatique ont >> énormément d'effets directs et indirects sur nos activités. > Ne serait-ce parce qu'ils menacent directement les infrastructures en place. > Bien penser qu'en ce moment on est en temps de paix et avec relativement > peu de crises majeures à gérer. > Les SI actuels ne sont pas pensés pour la gestion de crise. Où en sont tes données sur les délais de réparation des PMZ câlinés par des bus ? Est ce qu'on a des stats sur l'incidentologie en GC inondé par les dernières crues à Nice et en IdF ? Quid des coûts et délais de reconstruction à Saint Martin et Saint Barth ? >> Sur l'infrastructure, l'augmentation des occurrences de phénomènes météo >> extrêmes va réduire significativement la durée de vie des >> infrastructures de boucle locale. Qu'on soit bien clairs : l'immersion >> d'un PMZ ou d'un BPE mal fermé, c'est 100% de pannes et un remplacement >> complet obligatoire. >> > > Il n'y a pas que les boucles locales, le long haul est amplifié < 100km. > Peut-on vérifier que la redondance électrique est bonne sur ces sites > aujourd'hui? (Spoiler : non). Les long-haul sont globalement redondés et bien gérés, c'est moins problématique que la boucle locale car les valeurs en jeu donnent des marges conséquentes, suffisantes pour gérer les risques à fort surcoûts ponctuels. > Et sur les dispositifs étanches, tout est plutôt bien prévu au départ. > C'est à l'exploitation que ça pêche, puisque si l'intervenant ne prend pas > le temps de restaurer l'étanchéité une fois son intervention terminée, > c'est comme si rien n'était fait. > Voir ici par ex: > https://twitter.com/DorianGaliana/status/1035192262760779776 C'est bien mon argument : à sous-investir sur le déploiement par cascade de sous-traitance déresponsabilisée et malformée, on crée un risque financier à moyen terme qui aura aussi des causes et conséquences environnementales. >> La somme des coûts énergétiques et environnementaux des infrastructures >> rendent évident que le modèle européen de
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