Le 18 janv. 10 à 14:56, Jérémie ZIMMERMANN - La Quadrature du Net a
écrit :
Un aspect en est essentiel pour moi: démontrer que le prix de la
bande-passante est en baisse constante, voir que cette baisse compense
l'augmentation de la consommation.
Ben déjà, si on se fie à l'évolution des tarifs du bitstream chez FT,
sans que cela n'émeuve l'ARCEP, la tendance est plutôt à la hausse sur
la composante bande passante :-)
Ensuite, les industries de réseaux comme les communications
électroniques sont des industries à coûts essentiellement fixes : le
véritable inducteur de coûts est le mix entre taux d'utilisation d'une
ressource et son degré de mutualisation.
C'est pas tant le volume de trafic à écouler qui coûte, mais la façon
dont il arrive et comment on peut (ou non) l'agréger pour bénéficier
d'économies d'échelle.
Ecouler 10000 sources, que ce soit hier sur un STM1 (rhaaa, les
annonces du staff Oleane de la grande époque sur le thème on en a une
énorme avec notre boucle STM4) ou aujourd'hui sur une porte 10 Gbps,
au niveau du backbone, c'est paradoxalement moins couteux au final que
de le remplir avec un seul acteur. Bref, c'est relativement neutre
(modulo l'amortissement des babioles en question, mais c'est gérable),
les coûts unitaires n'ont effectivement pas trop bougé. Car c'est le
modèle d'Internet avant le 2.0, mutualisation et foisonnement du
trafic pour une techno qui n'était accessible que sur quelques points
du territoire.
Sauf qu'avec le 2.0, on a désormais près de la moitié du trafic qui
est désormais concentré sur quelques pôles, avec très un fort niveau
d'asymétrie, le solde couvrant les dizaines de millions de
destinations possible. Et à l'autre bout de la chaine, et c'est plutôt
une bonne chose, on a une techno désormais quasi-universelle puisque
couvrant 100% du territoire, et en haut débit en l'espace d'une
décennie 99% de la population sur près de 90% du territoire.
Et là, la porte 10 Gbps qui hier écoulait 10000 sources se retrouve
petit à petit monopolisée par le trafic d'un seul acteur. Et si en
plus on doit répliquer les portes 10 Gbps dans chaque noeud d'accès
dans la pampa (ce qui d'un point de vue macro est une bonne chose en
terme d'aménagement du territoire) alors qu'elles ne servent qu'à 99%
sur du trafic descendant avec 5 inducteurs qui accaparent 75% de la
capa, on a beau prendre le problème par tous les côtés, mais il est un
fait que le modèle originel (on se partage ce qui est dispo et on
facture pas car c'est réciproque) n'est plus tenable lorsque quelques
acteurs se retrouvent de fait avec des ressources dédiées sans en
rémunérer l'utilisation (car la BP payée à l'hébergeur ne couvre que
le segment hébergeur <-> opérateur de raccordement)
L'IP étant désormais une techno universelle, un outil essentiel dont
l'accès est un impératif de justice sociale pour reprendre les propres
termes du Premier Ministre (coucou la Rue de Valois), on est désormais
sur un marché biface comme le qualifient les économistes.
Un marché donc où il faut recouvrer les 2 utilisations possibles :
d'un côté le fait pour les abonnés finals d'être en mesure de joindre
la terre entière au moyen d'un accès fourni par l'opérateur, et de
l'autre côté, un fournisseur de services / contenus IP d'être en
mesure d'atteindre le maximum d'abonnés finals (ou eyeballs si vous
préférez).
Si on fait un parallèle avec le service téléphonique, un abonné
Freebox peut joindre un abonné du Guatalpata oriental, un abonné
Orange peut être joint depuis un abonné SFR, et les abonnés NC sont
reliés avec le reste du monde. Tout simplement parce que, même si par
essence un OBL est en position de monopole sur l'accès à ses abonnés,
on a tous intérêt à l'interopérabilité car l'effet de club a ses
limites (le trafic SMS a explosé le jour où c'est devenu interopérable).
A ce titre, des obligations particulières pèsent sur les opérateurs :
-> obligation de faire droit à toute demande raisonnable
d'interconnexion pour l'accès aux abonnés, y compris en transit pour
garantir l'interjoignabilité des différents réseaux / services
-> dans des conditions objectives, transparentes, non
discriminatoires : à interco égale, un "petit" (le terme n'est pas
péjoratif hein) opérateur comme OVH ou IPDirection paye son trafic au
même prix qu'un Free ou SFR, lesquels ne sont nullement privilégiés
par FT face aux petits. Ainsi, un "petit" opérateur qui se monte
bénéficie du même niveau de traitement qu'un gros, il n'existe plus de
barrières à l'entrée sur le marché autres que légales, on est assez
bien placés pour en parler puisqu'il y a 10 ans, face à un Cegetel ou
Worldcom, on ne pesait pas grand chose avec LD.
-> rémunération de l'utilisation terminale des réseaux via une TA,
fixée sur la base des coûts pertinents d'un opérateur efficace, pour
éviter d'en faire un centre de profit. Et que donc, si surcoût il y a
du fait de choix inefficaces, ce surcoût n'a pas à être répercuté sur
les tiers.
Car un marché biface, l'utilisation interne et sortante est couverte
par les revenus de l'abonnement. L'utilisation entrante elle n'est pas
couverte par les revenus de l'abonnement (ne serait-ce pour éviter les
usages dévoyés) mais pas une charge payée par l'inducteur
d'utilisation, cette charge pouvant être directe en cas de liaisons
sans intermédiaire ou indirecte via l'entrée en lice d'intermédiaires
faisant le lien entre les différents acteurs.
Au nom du principe de neutralité technologique rappelé encore
récemment dans le paquet de révision des directives, pourquoi l'ARCEP
très à l'aise sur ces notions pour ce qui concerne le TDM et la
téléphonie ne le serait pas sur l'IP ?
Et comme je vois venir d'ici les cris d'orfraies (car finalement, un
geek est au numérique ce que le réac est à la politique), précisons à
toutes fins utiles qu'une charge de terminaison est nullement un frein
à l'essor d'offres compétitives, comme en témoigne sur la téléphonie
les offres d'abondances (vu que illimité c'est devenu politiquement
incorrect) qui ont permis de doper le trafic, signe que les
consommateurs ne se restreignent plus.
Qu'on s'entende bien : à ce jour, en l'état actuel du droit positif,
la neutralité signifie qu'un opérateur qui dispose des capacités
nécessaires n'a effectivement pas à dégrader les conditions
d'acheminement de trafic depuis / vers des tiers dès lors que le
trafic considéré cadre avec les normes, les contraintes d'exploitation
ainsi que les usages en vigueur. Et la proposition de révision des
directives ici ainsi que les orientations précisées par la FCC
viennent préciser que cela n'interdit pas de gérer le réseau pour
faire en sorte de garantir la qualité de services essentiels, comme
par exemple les appels d'urgence, les communications téléphoniques
interpersonnelles...
Oui, je sais, on est pas vendredi, et même si ça rime bien dans
certains discours, neutralité ne signifie pas obligatoirement
gratuité. Au nom de quoi la rémunération de l'utilisation des réseaux
serait une atteinte à la neutralité dont force est de constater
qu'elle est surtout invoquée par de gros acteurs ayant tout intérêt au
statu quo actuel qui leur permet de bénéficier de distorsions de
concurrence au détriment des petits hébergeurs ou service type
CanalPlay / Spotify qui se montent ?
Car on a un peu facilement tendance à oublier, et les pères fondateurs
qui causeront à la Grande Arche demain pourront vous l'expliquer bien
mieux que moi, mais les premières liaisons pour raccorder les points
IP entre eux étaient... payantes.
--
Alec
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