Le 10 nov. 09 à 15:09, Jean-Claude MICHOT a écrit :

Avant de vouloir parler de neutralité du net cela serais bien de
comprendre ce que c'est.


C'est vrai que la neutralité, c'est un peu la tarte à la crème à la mode en ce moment (sans oublier les invocations du Square Max Hymans), surtout quand on se contente de l'énoncé du principe sans prendre en compte les conditions de mise en oeuvre. Ou quand pour alimenter leur café du commerce les jean-kevin lurkers viennent pomper ce qui peut s'écrire ici.

Qu'on s'entendre bien : au sens du droit positif, la neutralité signifie qu'un opérateur qui dispose des capacités nécessaires n'a effectivement pas à dégrader (notez bien, on a dit dégrader) les conditions d'acheminement de trafic depuis / vers des tiers dès lors que le trafic considéré cadre avec les normes / contraintes d'exploitation / usages en vigueur.

Mais d'un autre côté, la neutralité, ça ne veut pas dire qu'un opérateur doive rester sans rien faire face à du trafic faisant peser un risque sérieux sur l'intégrité de son réseau, la sécurité (notamment financière) de ses abonnés ou l'intérêt général. Surtout quand l'acteur à l'origine du trouble ne fait rien pour y remédier promptement.

La neutralité, nonobstant les utopies qui ne résistent pas à l'épreuve des faits, ça ne signifie pas pour un opérateur de systématiquement faire droit à des demandes déraisonnables. Comme celles de peerer (qui reste à ce stade rappelons-le une offre *commerciale* et nullement régulée) avec la terre entière, et notamment ceux qui représentent un millième de millième de trafic ou dans des lieux où le réseau n'est pas accessible / exploitable.

Ou à l'inverse comme celles de concentrer gratos des puits de trafic de tiers, juste parce que ces tiers trouvent que c'est bien plus confortable ainsi et que de toute façon c'est comme ça que ça a commencé et qu'il est hors de question pour eux de participer. Et qui se retranchent derrière la neutralité lorsqu'on vient leur expliquer qu'il leur faut maintenant adapter les modalités.

Au niveau d'un réseau maillant le territoire via plusieurs zones arrières comme celui d'un Orange, Free ou SFR, c'est un non sens absolu de continuer à peerer de la sorte (ie sans conditions), puisque cela revient de facto à démutualiser le transport (les volumes de trafic sont tels que le transport vers les plaques régionales s'effectue sur des liens & ports dédiés dans les routeurs qui n'ont rien à voir avec du simple Fast Ethernet, financés par l'opérateur et non par le principal bénéficiaire).

D'où l'incitation (i) à ne peerer qu'une fois les prérequis réunis - aussi paradoxalement que cela puisse paraître, de trop petits volumes unitaires génèrent de l'inefficacité (ii) à venir éclater le peering au niveau régional, où c'est plus facile de délivrer via les ressources existantes quelques Gbps sur chaque plaque que n*10 Gbps depuis un lieu unique.

A partir de là, on veut bien admettre que d'autres souhaitent rester sur un mode de peering unique, mais dans ce cas, c'est de l'investissement inefficace, et puisque la mode c'est de se référer au CPCE, autre principe, la charge de l'inefficacité n'a pas être supportée par ceux qui la subissent, mais par ceux qui l'induisent, en l'occurrence les gros pourvoyeurs de trafic à ratio plus qu'asymétrique.

C'est exactement ce qui s'est passé pour l'ADSL non dégroupé. La collecte s'effectuait nationalement, puis lorsque le trafic a commencé à atteindre un certain seuil, il a fallu basculer sur de la collecte régionale qui, elle, bénéficiait de tarifs moins pénalisants (mais toujours aussi manifestement décorrélés des coûts réels chez un opérateur efficace, mais c'est une autre histoire) puisqu'on évitait des coûts spécifiques de remontée nationale.

Et qu'on ne vienne pas hurler à la discrimination, on est dans un Etat de droit, car si on réfère au CPCE et la neutralité, c'est qu'on se place dans cette perspective, non ?

Un Etat de droit où les règles du droit de la concurrence et de la consommation combinées à la régulation sectorielle conduisent à des obligations particulières pesant sur les opérateurs reconnus, au terme d'analyses de marché menées par les autorités compétentes auxquelles tout un chacun peut contribuer pour faire entendre sa voix (et force est de constater qu'hormis Benjamin & notre JMP national, c'est plus facile de brailler ici que de contribuer concrètement au débat), comme exerçant une influence significative sur un marché pertinent, comme par exemple la non-discrimination (consistant, à situation égale, à ne pas discriminer un opérateur par rapport à un autre, y compris au regard des besoins internes), la transparence et le cas échéant des tarifs de non-éviction qui peuvent aller jusqu'à l'orientation vers les coûts.

Ceci dit, la non-discrimination n'implique nullement d'accorder des passe-droits à ceux qui investissent peu ou qui génèrent de l'inefficacité (en refusant d'éclater la livraison de trafic, ou en exigeant de monter des interco directes pour un chouilla de trafic) par rapport à ceux qui investissent de façon efficace (en éclatant les points de livraison de trafic passé un certain seuil).

Et désolé, mais c'est l'opérateur le plus proche de l'abonné qui prime. Car c'est sur lui que pèsent les obligations de qualité de service et autres babioles légales.

C'est exactement le même mode opératoire que pour l'interco (où c'est le modèle "calling party pays" ie c'est l'inducteur de trafic qui paye, directement ou indirectement, l'utilisation du réseau terminant la communication qui domine depuis la nuit des temps de ce côté-ci de l'Atlantique) ou le bitstream, plus on se rapproche des abonnés finals dès lors qu'on atteint le seuil minimal, moins on paie cher car on évite des coûts inefficaces. Et plus on est petit, plus l'impact des coûts fixes (désolé pour ceux qui en sont restés au monde de Oui-Oui, mais dès lors qu'on choisi de faire du réseau - que ce soit de l'énergie, des transports, des communications électroniques...-, on assume les contraintes telles qu'un modèle économique où l'impact des coûts fixes est inversement proportionnel à la taille) est élevé. D'où l'incitation naturelle à atteindre la masse critique, soit en propre, soit en indirect (les GIE, version commerciale de la coop, ça sert à ça, non ?)

Quant aux trolls récurrents sur "c'est vous les gros méchants FAI qui êtes responsables de la situation en vendant X Mbps pour Y Euros" il est un fait que (i) c'est un accès global qu'on commercialise, pas qu'un simple accès IP (ii) ce n'est nullement du débit max constant garanti pour le service IP [*].

C'est tout là la notion de fair use. Telecoms hier, IP aujourd'hui (le Nobel est garanti à celui qui trouvera la formule magique consistant à transposer Erlang sur l'IP), on repose sur une modélisation statistique de l'utilisation des ressources (en clair, volontairement dimensionner en fonction de l'usage moyen correspondant à 95% du temps), justement pour rendre accessible au plus grand nombre les services. Et ce depuis pratiquement l'origine. Un peu comme les secteurs bancaires ou assurances.

A partir du moment où le risque évolue pour des raisons exogènes à l'opérateur et imputable non pas à la globalité mais à quelques inducteurs, il serait pour le moins inéquitable de répercuter cette surcharge sur la globalité. Ca commande par conséquent de la faire supporter quasi-exclusivement sur les inducteurs. Un peu comme la modulation des tarifs d'assurances qui récompense les bons élèves et répercute sur les mauvais leurs écarts de conduite.


[*] note à ceux qui persistent à considérer une box comme du simple accès Internet (cf. la théorie de l'enrichissement sans cause avancée un peu rapidement) l'obligation - de résultat - du contrat n'est pas de fournir un accès Internet (ça c'était valable jusqu'en 2003), mais la mise à disposition d'un accès à un réseau de services de communications électroniques (c'est en tout cas comme ça chez Free depuis que le troisième étage de la fusée a été allumé fin 2003). Dès lors, suspension de l'accès IP ou pas, dès lors que l'heure est affichée sur la Freebox ou que la loupiotte qui va bien de la Live/ Neufbox s'allume, on ne peut pas dire que l'obligation du contrat n'est pas respectée ou qu'il y a enrichissement sans cause.




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Alec,



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